Coup de blues

Depuis l’accident de Gaeyu qui avait fini mal se terminer et sa mise au point avec Shouta, Mayuko se sentait un peu dépassé par les évènements. Elle qui désirait tant trouver l’âme sœur, la voilà une fois encore toute seule. Cette constatation la fit soupirer. Le coeur gros, elle se laissa tomber sur le bord de son lit les bras ballants. Elle en avait assez de cette partie de cache-cache avec les hommes. A croire qu’elle n’était pas faite pour l’amour ! Un nouveau soupir vint ponctuer ses pensées moroses. Lentement, elle se leva, alla décrocher son téléphone et appela le lycée. Elle échangea quelques mots avec le principal et se fit porter souffrante pour deux ou trois jours. Ensuite, elle retourna jusqu’à son lit, s’allongea et laissa vagabonder son esprit.

* Gae doit sûrement me détester après tout ce que je lui ai fait subir ! Comment ai-je pu me montrer aussi cruelle et sans cœur envers lui ? Je sais pourtant ce que c’est que d’aimer sans rien attendre en retour.*

Encore un soupir accompagné d’une larme qui roula le long de sa joue sans qu’elle n’y fasse vraiment attention.

* Et Shouta. Mon dieu, comment ai-je bien pu envisager de me mettre avec ce...type ! Un vrai détraqué mental !*

Elle passa sa main sur sa gorge et se tourna sur le coté. Elle allait se replonger dans ses idées noires lorsque le téléphone sonna. A contre cœur, la jeune femme se leva et alla décrocher.

Moshi, moshi ? qui est à l’appareil ?

Hatori, à l’autre bout du fil, resta muet un moment. C’était trop bête, il ne savait plus quoi dire…

(Mais qu’est-ce qui m’a pris…)

Le médecin était chez lui, assis à son bureau. Il venait de finir de ranger quelques papiers, et puis, il ne savait pas trop pourquoi, ses pensées avaient dérivé vers Mayuko. Cela l’avait troublé un moment, et puis, dans une impulsion soudaine, sans qu’il ne sache non plus trop pourquoi, il avait décroché le combiné et composé le numéro de l’enseignante.
Et maintenant, il se retrouvait comme un imbécile, le fixe collé à son oreille, et les mots pétrifiés dans sa gorge.
Comme la jeune femme demandait au bout d’un moment qui était à l’appareil, Hatori reprit aussitôt ses esprits. Il annonça d’une voix claire et neutre :

Allô, Mayuko ? C’est Hatori.

Silence.
Bien, et maintenant, comment allait-il s’en sortir ? Pourquoi l’avait-il appelée, déjà ?...
Perdant complètement son assurance factice, il bafouilla (ce qui semblait être devenu une habitude, chez lui, ces derniers temps…) :

Je… eh, bien, je t’appelais pour… enfin… je voulais savoir… comment tu allais…

Le maudit se traita mentalement de tous les noms, celui de « pathétique » revenait d’ailleurs souvent.
Autre silence.
Puis le médecin dit d’un coup :

L’autre jour, au lycée, tu n’avais vraiment pas l’air... Et je me suis dit… enfin, depuis que je t’ai… nous ne nous sommes plus parlé, et… c’est sûrement ma faute, enfin je…

Hatori enleva ses lunettes et s’essuya le front, en fermant les yeux un instant pour tenter de mettre un semblant d’ordre dans ses pensées. Et finalement, il réussit à dire ce qu’il ressentait vraiment, ce qui l’avait poussé à appeler Mayuko.

Je voulais m’excuser. Et je m’inquiétais pour toi.

En entendant la voix d’Hatori, son très cher Hatori, Mayuko eut toutes les peines du monde à retenir les sanglots qui montaient inexorablement. Elle sentit ses jambes mollirent tandis qu’elle essayait vainement de contrôler le son de sa voix.

Bah, il ne fallait pas m’appeler juste pour ça !

Mais avant qu’elle ait le temps de poursuivre, le médecin avait repris la parole. Il fut question de l’épisode du lycée puis de celui…qui faisait mal à la jeune femme. Une boule d’angoisse avait à présent étreint sa gorge, ses yeux lui piquaient de lus en plus et elle ne tenait debout par Dieu sait quel miracle ! Au prix d’un terrible effort, elle parvint tout de même à articuler.

Ce n’est pas la peine de t’excuser, Hari-…san. Tu n’as rien fait de mal. C’est…c’est plutôt moi qui...

Elle n’eut pas l’occasion de termine sa phrase. C’était bien trop d’émotions pour elle en ce moment et Mayuko éclata en sanglots dont elle seule avait le secret.

Par…pardon. Je…euh…

Elle renifla bruyamment et essuya ses yeux dans sa manche comme une enfant.

Pardon encore une fois, Hatori. J’ai…j’ai passé une mauvaise semaine !

Sa voix manquait indubitablement d’assurance mais elle espérait que son interlocuteur ne s’en apercevrait pas et la laisserait à nouveau seule. Elle ne voulait plus blesser qui que ce soit et surtout pas son cher Hari-kun !

Hatori laissa Mayuko parler jusqu’au bout, sans la couper. De toute façon, il ne savait pas quoi dire…
Il fut complètement désarçonné en entendant l’enseignante pleurer à l’autre bout du fil. Il avait oublié à quel point les gens pouvaient pleurer facilement. A quel point Mayuko était spontanée, et franche… Cela lui était arrivé si rarement, dans sa propre vie, de sentir des larmes… Son chagrin à lui était comme un mur opaque autour de son cœur.
Hatori secoua la tête, chassant les images douloureuses qui revenaient le hanter. Au moins, il fut conforté dans les idées que d’une part, il avait bien fait de l’appeler, et que d’autre part, il y avait vraiment quelque chose qui n’allait pas. Toyimi Gaeyu n’avait pas menti.
Il chercha ses mots pendant bien 2 ou 3 minutes, dans un silence entrecoupé des sanglots de la jeune femme qui le peinaient et le mettaient terriblement mal à l’aise. Finalement, il prit sa respiration et annonça en un souffle.

Mayuko, je suis désolé de t’avoir repoussé aussi brutalement l’autre fois, à la bibliothèque.

Silence.
Le médecin s’était tellement mordu l’intérieur des joues qu’elles étaient en sang.

Je ne me rendais pas compte du mal que je te faisais. J’étais… coupé du monde extérieur, et j’ai réagi sans penser à tes sentiments. Il m’a fallu tout ce temps pour m’en rendre compte, et je voulais m’excuser.

Silence.
Finalement, il avait réussi à dire ce qu’il avait sur le cœur. Quant à savoir ce qu’en pensait Mayuko…

Je comprendrais… que tu m’en veuilles. Tu n’es pas obligée de me pardonner.

Silence.
Jamais le médecin n’avait parlé aussi longtemps, et pour dire des choses aussi importantes pour lui, qu’il pensait vraiment. La plupart du temps, il pensait, mais n’extériorisait rien de ses sentiments. Une habitude qu’il avait prise depuis Kana… Une habitude qu’il avait prise pour se protéger, lui-même et les autres, mais qui finalement lui apportait l’effet exactement contraire.
Hatori se racla maladroitement la gorge.

J’étais sérieux quand je te demandais comment tu allais. Tu… enfin… manifestement, tu n’as pas l’air…

L’hippocampe s’embrouillait avec ses mots. Pour une fois, il en avait tellement à dire, et il ne savait plus comment s’y prendre !…

Les mots d’Hatori allèrent droit au cœur de Mayuko. Mais ils ne la consolèrent malheureusement d’aucune manière. La jeune femme était bien trop déprimée par les récents évènements pour que les paroles du médecin l’apaisent.

Merci Hatori-san. Mais tu sais…

Elle hésita un quart de secondes.

Tu n’avais pas à t’excuser. Tu as été sincère avec moi. Pour ma part, je…

Elle allait dire « je t’aimerai toujours » mais son instinct lui dicta une toute autre fin.

Je crois que je vais laisser tomber. Sans vouloir te vexer, j’en ai assez de courir après des hommes qui ne veulent pas de moi. Je ne dois pas être douée pour l’amour en fin de compte !

Tenta-t-elle d’ironiser. Elle eut un petit rire mais celui-ci sonnait faux tant les tremolos dans sa voix annonçaient une nouvelle crise de larmes. Silencieusement cette fois, elle recommença à inonder le combiné. Elle aurait tant aimé lui dire ce qu’elle avait sur le cœur mais tous le mots restaient coincés dans sa gorge. Une boule e plus en plus grosse l’étreignait à en faire mal.

Je…je vais…bien…rassure-toi. C’est juste que…je dois être fatiguée, je suppose. Je ne dors pas beaucoup ces derniers temps et l’ambiance au lycée s’est considérablement dégradée. Je crois que j’ai besoin de calme.

Voilà, finalement, c’était en partie sorti sans qu’elle s’en rende compte. Néanmoins, elle avait quand même réussi à passer sous silence la partie la plus douloureuse : Gaeyu. A présent, elle n’aspirait qu’à une chose. Prendre un bain et aller dormir ! Elle se sentait vidée et groggy comme un boxeur après un match difficile.

Hatori était complètement perdu. Il avait réussi à faire ce qu’il voulait faire, ou en tout cas une partie, en présentant ses excuses. D’accord. Mais maintenant, qu’est-ce qu’il était censé lui répondre ? La consoler ? Il n’avait jamais réussi à consoler personne, la plupart du temps, et cette fois là justement, c’était lui qui créait les ennuis.
Par contre, il ne comprenait pas. « Des hommes qui ne veulent pas de moi »… Il y en avait donc eu un ou plusieurs autres après lui ?... Mais pourquoi est-ce que ça l’étonnait tant que ça ? C’était normal, Mayuko était jeune et attirante, il n’y avait aucune raison pour qu’elle reste célibataire toute sa vie. En fait, il n’y avait que lui pour ne pas avoir changé depuis toutes ces années…
Puis il se rendit compte à quel point la jeune femme semblait déprimée. Il regretta de l’avoir appelée au téléphone plutôt que d’avoir eu le courage de la voir en face.
Il ouvrit et referma plusieurs fois la bouche pour parler, puis renonça et la laissa finir sans l’interrompre.
Puis il hésita. Devait-il mentionner l’intervention de Gaeyu Toyimi ? En même temps, il aurait un peu de mal à faire autrement pour justifier ses inquiétudes à son sujet… Et puis il préférait être franc.
Le médecin passa sa main sur son front.

Ecoute, Mayuko… L’autre jour, un certain Gaeyu Toyimi est passé me voir. Nous avons… discuté un moment, et il m’a dit que tu avais certains problèmes depuis… depuis un moment. C’est lui qui m’a forcé à me rendre compte de…ce que je viens de te dire… et c’est pour ça que je m’inquiétais.

Le silence au bout de la ligne lui assécha la gorge, mais il s’efforça de continuer.

J’aurais dû te rappeler … te revoir avant… je suis désolé… si c’est de ma faute…

Le maudit prit sa tête dans ses mains, puis continua d’une voix sourde mais sincère.

Mais si quelque chose ne va pas… tu peux me le dire… et je te jure que je ferai tout ce que je pourrai pour t’aider.

Mais comme un fait exprès, Hatori se mit à lui parler de Gae. Mayuko ne comprenait pas. Pourquoi son ami était-il allé voir le médecin et de quoi lui avait-il bien parler pour que le Soma lui téléphone dans la foulée. Tout cela la laissait perplexe. Tellement perplexe qu’elle ne prit pas garde aux dernières paroles de son interlocuteur. Elle se sentait lasse d’un coup. Doucement, elle se laissa glisser sur le sol, le combiné toujours collé à l’oreille.

Gae est venu te voir ? …Il a du te dire des trucs abominables sur moi, non ?

Demanda-t-elle d’une voix très basse. D’un côté, elle voulait ardemment savoir ce que son ami pensait d’elle et de l’autre, elle redoutait cette vérité. Dans sa tête, c’était sur ! Gaeyu devait la détester, la haïr cordialement ! Elle soupira. Cette histoire la poursuivait encore et encore. Quand tout cela allait-il finir ? Elle était fatiguée, lasse de tout ceci.

Dis-moi Hari-kun ? Quel intérêt y a-t-il à vivre une vie seule ? J’ai déjà 26 ans et pas de mari et encore moins d’enfants ! J’en ai assez de tout ça ! Il faut que ça cesse !

Il y eut un silence durant lequel Mayuko repensa à kana et à son histoire avec le médecin. Même Shiguré vint effleurer son esprit un court instant. Qu’il était loin ce temps-là ! Qu’il était loin le bonheur !

Pardon de te déranger ainsi, Hatori ! mais dis-moi, où en sont tes amours ?

Hatori fut un peu surpris de voir que Mayuko n’avait qu’à peine écouté les paroles qu’il avait eu tant de mal à prononcer, pour ne s’intéresser qu’à ce Gaeyu. Il en ressentit un certain agacement qu’il tenta aussitôt d’occulter ; il n’avait aucun droit de lui faire ce genre de reproche, même en pensée.

Des trucs abominables ? Non, à vrai dire il m’a seulement dit que vous étiez amis, sans plus préciser la nature de votre relation. Mais je ne comprend pas… ce n’est pas ton ami… ? Ou …vous étiez fâchés ? …

Il fronça les sourcils et continua comme pour lui-même :

Il avait pourtant l’air sincère…

Puis il se souvint vaguement de la tristesse de Gaeyu, de sa fatigue… Le médecin se demanda ce qu’il s’était réellement passé… Dans tous les cas, il n’y comprenait pas grand-chose.
Puis Mayuko commença à parler de sa solitude. Incapable une fois encore de trouver seulement un mot de réconfort, il resta muet jusqu’au moment où l’enseignante lui adressa à nouveau la parole.
Sa question fit naître une foule d’images dans son esprit, une lycéenne, une jeune femme qu’il tentait d’oublier, des sentiments qu’il voulait ignorer.
Hatori s'adossa complètement à sa chaise, regarda la plafond. Il se racla la gorge, gêné, mais se sentit obligé de lui répondre ; ce qu’il fit d’une voix sourde.

A peu près au même point que toi j’imagine… Mais c’est mieux comme ça.

Il ne faisait qu’attirer ennuis et blessures aux personnes qui lui étaient chères, aujourd’hui encore. Si c’était pour voir souffrir ceux qu’il aimait, il préférait être seul. Ce n’était pas comme si ce mot lui faisait encore peur…

Mayuko ne put retenir un « Ah ! » de surprise en apprenant que Gaeyu ne la voyait pas comme un monstre. Elle fut encore plus étonnée quand Hatori lui dit qu’il ignorait totalement ce qui s’était passé entre eux et qu’il avait trouvé l’enseignant sincère. Elle ne comprenait plus rien. Une nouvelle fois, tout s’embrouillait dans sa tête.

Gae est bien mon ami. En fait, c’est un ami d’enfance tout comme kana mais...

Elle se tut un instant pendant que son esprit cogitait à toute vitesse.

Mais s’il ne me déteste pas pour la dernière fois, pourquoi veut-il s’en aller ?

Elle avait réfléchi tout haut et ne s’était même pas rendue compte que le médecin avait sûrement tout entendu. Le regard fixant un point dans le lointain, la jeune femme tentait de clarifier ses pensées mais sans grand succès il faut bien l’avouer.

Cela n’a pas de sens, Hari-kun. S’il me voit toujours comme une amie pourquoi diable voudrait-il s’éloigner de moi ? Ça n’est pas logique ! Si ?

Elle n’attendit même pas une réponse et enchaîna de plus belle.

Et puis d’abord, je ne veux pas me résigner ! Tant que je vivrais, je chercherai encore et toujours l’homme de ma vie. Abandonner, c’est comme se résigner à mourir ! Et puis, tu vaux certainement mieux que de finir vieux garçon, tu ne crois pas ? Ce n’est pas parce que cela n’a pas marché avec kana que tu n’es pas fait pour l’amour ! Si c’est ce que tu penses, alors tu es encore plus stupide que…que ce crétin de Shiguré !

Sans s’en rendre compte, Mayuko avait repris du poil de la bête et c’est presque en criant qu’elle avait lâchée ses dernières paroles.

Le sens de la conversation lui échappait totalement depuis quelques minutes et son esprit affolé cherchait désespérément une explication aux paroles de Mayuko, en vain malheureusement.

Un ami d’enfance ? Mais… tu ne m’en as jamais parlé ! Et …et pourquoi te détesterait-il ? Et où est-ce qu’il va s’en aller ?

On ne pouvait pas dire que l’enseignante lui facilitait les choses. Elle parlait très vite, sans prendre la peine d’expliquer le sens de ses paroles au pauvre Hatori qui n’avait même pas le temps de répondre à ses questions (auxquelles de toute façon il n’avait pas de réponses…) avant qu’elle n’enchaîne sur une chose qui, pour lui, n’avait rien à voir.
Voilà qu’elle se mettait à s’énerver contre lui, contre Shiguré… !
Là, le maudit avait complètement perdu le fil, s’il l’avait jamais eu dans cette conversation, ou plutôt ce monologue.
Il n’arrivait pas à en placer une et maintenant Mayuko lui faisait des reproches !… Mais en tout cas, exprès ou non, la jeune femme avait appuyé là où ça faisait mal. Il resta muet quelques secondes, respirant à fond pour démêler ses pensées, les yeux fixes.
Puis il demanda d’une voix très calme :

Mayuko… Est-ce que tu pourrais m’expliquer de quoi tu parles ?

Soudain Mayuko réalisa que Hatori n’avait apparemment pas saisi la moitié de ce qu’elle venait de dire. Contre toute attente, la jeune femme éclata d’un rire franc et joyeux ! Il avait du certainement la prendre pour une folle ce qui en soit n’était pas totalement faux ! Elle tenait des propos incohérents depuis quelques minutes et écoutait à peine ce que le jeune homme lui disait. Elle rit tant qu’elle manqua de s’étrangler avec sa salive. Entre deux hoquets, elle réussit à articuler :

Je suis…vraiment …désolée…Hari-kun !

Elle hoqueta encore une fois ou deux mais parvint finalement à reprendre un tantinet son sérieux. Elle ne voulait pas que le médecin la prenne pour une malpolie alors, elle se mit à lui raconter son histoire.

Comme je viens de te le dire, Gaeyu est un mai d’enfance. En fait ses parents et les miens étaient proches et de ce fait, on jouait souvent ensemble et en grandissant, nous sommes restés très proches. Seulement, il y a un ou deux mois, il m’a avoué qu’il m’aimait depuis des années.

Elle se tut un instant méditant sur cette révélation qui la perturbait encore aujourd’hui.

J’avoue qu’au début, cela m’a extrêmement surprise. Je ne m’attendais absolument pas à ça ! Je ne sais pas si c’est la solitude ou cet aveu mais cela m’a considérablement émue et… et nous avons fini par sortir ensemble !

Nouveau silence.

Mais c’était pas fait pour durer. Nous avons... ou plutôt j’ai cassé au bout d’un mois ! Tu sais, y’a des moments où je me demande ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je suis incapable de retenir un homme et quand un s’intéresse finalement à moi, pourquoi je fais alors tout pour que ça marche pas ?

Mais comme à son habitude maintenant, elle n’attendit pas la réponse et continua son récit.

Il y a quelques semaines de ça, il a fait une tentative de suicide. Enfin je crois….tu sais, Hari-kun, cela m’a profondément choquée ! J’ai eu tellement peur de le perdre. C’était vraiment horrible ! Je me sens coupable de ce qui lui est arrivé ! Après tout, si je n’avais pas cassé, tout cela ne serait pas arrivé !

Elle inspira profondément pour chasser les trémolos qui commençaient à poindre dans sa voix ! Oui, elle n’aurait pas pu se regarder encore dans un miroir s’il était arrivé quelque chose à Gaeyu ! Sans qu’il le sache et sans qu’elle en prenne réellement conscience jusqu’à présent, il avait pris bien plus d’importance dans sa vie qu’elle ne l’aurait cru au prime abord ! Elle soupira.

Mais voilà que maintenant, il veut demander sa mutation dans une autre région pour mon bien qu’il dit. Je comprends pas Hatori. S’il me déteste pas pour ce que je lui ai fait, pourquoi veut-il partir ?

Hatori, qui pensait qu’après avoir été clair en avouant qu’il ne comprenait rien à ce que Mayuko racontait, pensait qu’il allait enfin savoir de quoi il en retournait.
Eh bien, raté : la réaction de l’enseignante le plongea dans la confusion la plus totale. Il y a deux secondes, elle pleurait, et voilà qu’à présent elle éclatait de rire !

(Je renonce à essayer de comprendre), pensa-t-il, un rien découragé.

Soit elle était un peu folle, soit il était un peu demeuré.

Je t’en prie, répondit-il neutrement, un peu gêné, lorsque la jeune femme s’excusa.

Mais la jeune femme finit par se calmer et par s’expliquer. L’histoire qui suivit laissa Hatori sans voix.
Ainsi , l’homme qui était venu le voir, ce Gaeyu Toyimi, était un de ses plus proches amis d’enfance… Hatori ressentit une curieuse sensation au niveau du ventre. Il avait côtoyé Mayuko pendant plusieurs années par l’intermédiaire de Kana. Certes, il n’avaient jamais été très proches, mais comment se faisait-il qu’il n’ait jamais entendu parler de lui ?…il n’osa pas le demander. Et puis, Toyimi lui avait dit quelque chose comme « je ne voulais pas interférer »… Hatori ne comprenait pas vraiment ce qu’il avait voulu dire, mais n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps, car l’enseignante continuait à parler.
En apprenant qu’ils étaient même sortis ensemble, le médecin ouvrit de grands yeux et laissa échapper une exclamation vide.

Ah…

Il voyait son visiteur mystérieux sous un autre angle, à présent. Il était à mille lieux d’imaginer cela…
Le maudit laissait passer les silences sans s’en préoccuper. Il attendait que Mayuko lui ait tout dit sans l’interrompre ; de toute façon il n’aurait pas su quoi répondre(pour changer).
La tirade qui suivit le déstabilisa complètement ; il n’était pas vraiment habitué à ce que l’on lui confie ses sentiments, ses doutes ou ses angoisses. Que devait-il répondre ? Il n’avait jamais été doué pour conseiller les gens, il n’arrivait déjà qu’à grand-peine à prendre des décisions pour lui-même, alors…
Heureusement, Mayuko ne semblait pas attendre de réponse. Elle continua son récit, et quand elle lui apprit que Gaeyu avait fait une tentative de suicide, le médecin comprit mieux l’air fatigué et les traits tirés de l’homme lorsqu’il était venu le voir. Il n’était pas encore tout à fait remis à ce moment là.
En tout cas, Mayuko avait l’air profondément affectée par tout cela. C’était compréhensible, bien sûr, mais le dragon avait encore du mal à se faire à l’idée que l’enseignante était sortie avec lui. Il commençait à se rendre compte que la vie continuait, avec ou sans lui. Les choses bougeaient ; lui pas.
Une fois de plus, il abandonna là ses réflexions pour se reconcentrer sur la discussion en cours. La question de Mayuko le prit complètement au dépourvu. Lui, il n’avait rien à voir dans cette histoire, il ne commençait à la comprendre que depuis 5 minutes, et on lui demandait son avis ? Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes, et … Mais le médecin voulut cependant faire un effort, parce qu’après tout il se sentait toujours coupable d’avoir coupé les ponts avec elle. Il réfléchit pendant deux bonnes minutes, installant un silence complet au bout du fil, puis commença lentement :

Je pense… je pense que tu ne dois pas trop t’en vouloir quant à ta responsabilité dans la tentative de suicide de… de ton ami. S’il ne te déteste pas… et s’il veut partir, je crois que … que c’est justement pour t’éviter de trop lourds remords.

L’hippocampe repensa à la visite de Gaeyu, qui était venu le voir lui, alors qu’il ne le connaissait pas, qu’il n’était pas sûr de pouvoir être aidé, qu’il était encore souffrant.

Il a l’air de beaucoup tenir à toi… de vraiment tenir à toi. Et il veut sûrement te voir heureuse, même si… même si c’est sans lui. Si tu te sens coupable à chaque fois que tu le vois, ce ne sera jamais le cas. C’est pour ça qu’il veut partir.

Il préférait s'effacer de sa vie pour qu'elle puisse être heureuse, même si pour cela il devait la quitter à tout jamais.
Hatori repensa à Gaeyu avec un sentiment nouveau, qui, s'il n'était pas vraiment de la sympathie, s'en approchait beaucoup. Finalement, ils n'étaient pas si différents...

Mayuko écouta attentivement les paroles d’Hatori mais tout cela lui laissait comme un arrière goût désagréable dans la gorge. Avait-il raison, devait-elle vraiment laisser Gae s’en aller ? Elle ne savait pas trop. Finalement, son regard tomba machinalement sur l’horloge sur le mur d’en face. Elle écarquilla les yeux avant de s’exclamer à haute voix.

Déjà !

Puis elle réalisa qu’elle était au téléphone depuis presque une heure et que le pauvre médecin devait sûrement en avoir assez de l’entendre se lamenter comme ça sur sa vie. Elle inspira profondément pour se donner une contenance et continua.

Je suis désolé de t’avoir retenue aussi longtemps, Hari-kun. Tu dois sûrement avoir mille autres choses à faire ! Bon, je vais pas te retenir davantage et te laissez vaquer à tes devoirs ! Bonne journée !

Elle raccrocha le combiné, revint dans sa chambre et se laissa tomber de tout son poids sur son lit en soupirant.