Où aller ?

Soren parcourait les couloirs de l'hôpital d'un pas incertain.
Il était venu pour rendre visite à sa mère, qui venait d'être replacée dans cet hôpital. Il tenait dans ses mains un bouquet d'orchydées, les fleurs préférées de sa mère...

Soren se sentait vaguement mal à l'aise. Il n'aimait pas cet endroit. Trop de mauvais souvenirs venaient d'ici... L'internement de sa mère...ses crises... ses pleurs quand elle prenait conscience de sa folie...les jours où elle ne le reconnaissait pas...

Elle avait dû être très perturbée par son changement d'hôpital, elle qui détestait le changement au point qu'elle ne supportait pas que l'on change les fleurs fanées sur sa table de nuit. Soren était plutôt inquiet quant à sa réaction quand elle le verrait.
Il soupira. Comme s'il n'avait déjà pas assez de problèmes avec ses études, son nouveau lycée, ses factures, ses petits boulots...

De plus, c'était la première fois qu'il venait à cet hôpital, et il ne savait pas trop où aller.
Il s'arrêta, perdu, au milieu du hall d'entrée, guettant une aide improbable.

(Kana vient te sauver ! )

Kana se baladait dans les couloirs de l’hôpital, n’ayant pas pour l’instant de travail à faire. Elle devait aller chercher quelques papiers concernant un de ses patients, lorsqu’elle vit un jeune garçon tout seul au milieu du hall.

(Tiens, quelqu’un de perdu ?)

Elle s’avança un peu, observant le regard hagard du jeune homme, ne sachant apparemment pas ou aller. Un sourire aux lèvres, elle se racla la gorge pour se faire remarquer, le garçon n’avait pas l’air de l’avoir vue. Ce dernier affichait un visage rêveur, et Kana pencha la tête avant de s’écrier :

« Bonjour jeune homme, Je suis le médecin Soma, vous cherchez quelque chose ? »

Puis elle lui lança un regard inquisiteur, curieuse de savoir la raison de sa venue. Il n’avait pas l’air malade, et à en juger par son air perdu, elle se demandait même si il savait ou il était. Elle croisa ses mains dans le dos, en attendant patiemment une réaction du garçon.

[mon sauveur!!! ]

Soren commençait à désespérer de trouver son chemin dans le dédale de couloirs blancs de l’hôpital [^^], quand à son grand soulagement une jeune femme vint à sa rencontre.
Perdu dans ses pensées moroses, il ne l’avait pas vue arriver et ne réagit que lorsqu’elle se racla discrètement la gorge pour signaler sa présence, avant de se présenter en tant que docteur.

Euh, oui, enfin… ma mère… je venais pour… elle a été… enfin, vous voyez, on a…

Soren se tut et rougit violemment, conscient que ses paroles n’avaient ni queue ni tête et qu'il était en train de passer pour un imbécile, ce qui ne lui plaisait pas trop ( à la limite il préférait passer pour un type bizarre ...ce qu'il était vraiment, en fin de compte). Encore égaré dans l’inquiétude que lui inspirait continuellement sa mère qui, si elle n’était pas en crise, devait s’inquiéter de son retard, il n’avait pas fait attention à ce qui l’entourait. Il respira un grand coup, tentant d’évacuer l’angoisse qui le prenait à la gorge dès qu’il pénétrait dans un hôpital, puis recommença sa phrase dans un français correct.

Ma mère vient d’être internée dans cette hôpital. J’était venu lui rendre visite, mais c’est la première fois que je viens ici et je ne sais pas du tout où aller…

Soren observa plus attentivement le docteur. Elle était très jolie, et avait un visage très doux qui faisait penser qu’elle était excessivement gentille. Son sourire aimable conquit aussitôt le jeune homme, qui se sentit en confiance. Lui souriant joliment à son tour, il lui demanda doucement :

Est-ce que vous pourriez m’aider, s’il vous plaît ? Peut être avez-vous entendu parler d’elle ? Connaissez vous par hasard le numéro de sa chambre ou le nom de son docteur ?

Kana eut un petit rire lorsqu’elle entendit les paroles incompréhensibles du jeune garçon. Elle lui fit un grand sourire essayant de se contenir :

« Excusez moi, j’ai sûrement besoin de rire, je ne voulais pas me moquer de vous ! »

Puis après un brusque rougissement, le garçon reprit de plus belle, parlant cette fois ci la même langue que la jeune médecin. Elle réfléchit quelques instants avant de répondre en continuant de sourire :

« Je me ferais une joie de vous aider, à vrai dire je ne retravaille pas avant une demi-heure ! »

Puis elle ajouta avec amusement :

« Par contre si vous ne me m’apprenez pas le nom de votre mère, il y a très peu de chance pour que nous la retrouvions ! Il y a beaucoup de patients dans cet hôpital !. »

Puis elle réfléchit quelques instants, et avança vers le comptoir de l’accueil, passa derrière et regarda un dossier relié de cuivre, parcourut les noms, et demanda gentiment :

« Quel est le nom de votre mère, on pourra regarder dans qu’elle chambre elle se trouve… »

Elle observa le jeune homme du coin de l’œil. Apparemment c’était un lycéen tout au plus, bien qu’il mesurait plus de vingt centimètres de plus que la jeune femme, ce qui était assez étrange de la part d’un japonais. Elle trouva tellement attendrissent son regard rêveur tout vert qu’elle accepta tout de suite de l’aider.

« Si vous le souhaitez, je vous accompagne, c’est que cet hôpital est très grand, cela dépend du secteur ou elle à été interné. »

Puis de son grand regard ou l’on pouvait voir toutes ses émotions, elle le regarda attendant une réponse.

« Pour ce qui est du docteur qui lui est assigné, je pourrais surement vous dire de qui il s’agit, je connais la plupart… »

Soren ne s’offensa pas le moins du monde de l’éclat de rie de la jeune femme. Au contraire, cela lui fit plaisir de voir une réaction aussi spontanée, naturelle, il n’aimait pas tellement les gens calculateurs. Il lui sourit franchement quand elle se moqua gentiment de lui, il avait l’habitude…

Son nom est Mia Shetowa. Et le mien est Soren, je ne crois pas m’être déjà présenté…

Il leva sa main pour échanger une poignée de main avec le médecin. Puis, tout en la suivant jusqu’à l’accueil de l’hôpital, gêné, comme chaque fois qu’il parlait de sa mère, il continua en butant sur les mots.

C’est vraiment gentil de bien vouloir m’aider…Je suis déjà en retard, et j’ai peur que cela ne l’ait …perturbée…encore plus.

Il eut une grimace éloquente en regardant les fleurs qu’il avait apporté, que lui seul pouvait comprendre. Il eut une mimique soulagée quand la jeune femme proposa de l’accompagner, son sens de l’orientation était désastreux !

Je vous remercie, surtout que j’aurai bien été capable de me perdre dans tous ces couloirs…

Il repensa rêveusement au premier jour où il avait été rendre visita à sa mère, alors qu’il était encore enfant. Il avait mis des heures avant de s’avouer vaincu et perdu au milieu de l’hôpital, et autant pour trouver le courage de demander son chemin à ces grands hommes en blouse blanches qui lui faisaient peur, parce qu’il annonçaient tant de malheurs. D’ailleurs, d’une certaine façon, ils lui faisaient toujours peur….
Il était le premier étonné de se retrouver si confiant auprès de l’un d’entre eux, mais le médecin Soma, avec son doux sourire et sa gentillesse, ne ressemblait absolument pas à tous ces hommes aux yeux cernés qui l’avaient accablé par leurs diagnostics catégoriques et désespérants…
Soren revint sur terre en entendant le jeune femme parler du médecin traitant de sa mère.

J’aimerai le rencontrer, pour pouvoir… parler avec lui de… l’état…de ma mère.

Il se demandait avec angoisse si l’esprit de Mia était aussi troublé que lors de ses dernières visites, et redoutait une de ces crises qui l’effrayaient au plus haut point.

Le sourire que lui rendit le jeune garçon lorsqu’elle se moqua gentiment de lui fit plaisir à Kana. Elle avait en effet eut peur de l’avoir blessé. A l’annonce du nom de la patiente à rechercher, Kana hocha la tête avant de déclarer :

« Mia-san ? Oui bien sur, c’est en fait une de mes patientes, c’est une chance que vous vous soyez directement adressé à moi, cela nous évitera de chercher un autre médecin dans tout l’immeuble ! »

Elle ne fit aucune allusion pour le moment sur l’état de la femme. On venait à peine de lui attribuer la patiente, mais elle avait lu le dossier en détail, celui qu’avait rédigé le médecin s’occupant précédemment de la malade. Kana s’intéressait de près à l’état de Shetowa-san, elle n’avait jamais eut de patients contractant le même Symptôme que cette dernière. Elle rajouta à l’intention de Soren :

« Shetowa Soren ? Me permettez-vous de vous appeler Soren-san, je trouve ce nom particulièrement agréable à dire ! »

Puis, sans attendre , elle prit le dossier concernant la mère de Soren qu’elle avait laissé à l’accueil, et en guise de réponse aux remerciements du lycéen, elle lui fit un grand sourire avant de devenir très sérieuse. Tout en marchant rapidement en direction d’un escalier elle lui dit :

« Je suppose que vous savez que votre mère est dans un état dépressif pour le moins préoccupant…j’ai lu le dossier la concernant, et après l’avoir vu plusieurs jours, il est clair que sa santé mentale n’est pas très stable. Hier encore elle ne me reconnaissait pas, sans compté les crises de folie journalières… »

Puis elle eut un regard qui se voulait rassurant pour le jeune garçon et rajouta doucement :

« Ne vous inquiétez pas, je vais essayer de l’aider au maximum à garder une attitude normale grâce à des traitements spécifiques mais je pense que le meilleur moyen pour qu’elle aille mieux, c’est encore de venir souvent la voir. Je pense que de vous voir quotidiennement, cela pourrait l’aider. Parlez lui de vos souvenirs communs, apportez lui des objets…les fleurs c’est une bonne idée.. Il ne faut surtout pas que vous fassiez attention à ses brusques changements d’humeur, il faut surtout que vous fassiez comme si de rien n’était. »

Elle arriva près de la chambre 504 et rajouta plus bas :

« Sachez que si je peux faire quelque chose au niveau médical, il y a encore un très gros travail à fournir au niveau psychologique… »

Puis pour l’encourager, elle frappa à la porte trois petits coups et attendit que le jeune homme ouvre la porte.

Soren fut soulagé en apprenant que le docteur Soma s’occupait de sa mère. Elle était douce, gentille, compréhensive : tout à fait ce qu’il leur fallait à tous les deux, lui et sa mère. Il eut un soupir de soulagement quasiment imperceptible, avant de sourire de nouveau.

Je suis heureux que ce soit vous qui vous occupiez d’elle, Soma-sama. Je…je pense qu’elle a besoin de personnes comme vous.

Soren était un peu embarrassé, comme chaque fois qu’il parlait de sa mère. Il ne savait plus quoi faire devant son état qui ne présentait aucune amélioration depuis toutes ces années…
Le jeune homme suivit Kana, perdu dans ses sombres pensées, la remarque de la jeune docteur lui arrachant un sourire distrait et un signe affirmatif de la tête. Il reprit aussitôt ses esprits quand la jeune femme parla de la maladie, si on pouvait appeler maladie la folie périodique qui l’habitait, et l’écouta gravement, les sourcils froncés, très inquiet. Le sourire de son interlocutrice ne la rassura pas le moins du monde, il était bien trop perturbé par l’accueil qu’allait lui réserver Mia. Raffermissant sa voix incertaine, il promit :

Je vais essayer de venir plus souvent. Comme je travaille après le lycée, je n’ai pas beaucoup de temps libre, mais si cela peut l’aider je me débrouillerai pour venir chaque soir.

Une chose dite était presque à cent pour cent une chose faite pour Soren. Il résolut de faire tout son possible pour aider sa mère, même si cela empiétait sur ses études. Sa famille, ou du moins ce qu’il en restait, passait avant tout,. Ses réflexions le ramenant aux crises de sa mère, il s’assombrit. Il avait un peu honte du comportement qu’elle avait pu avoir avec les médecins…

Et… je suis désolé si elle vous a insultée ou maltraitée durant ses crises. Vous savez, avant… elle n’était pas comme ça, pas du tout. Elle était vraiment très gentille. Elle ne pense plus ce qu’elle dit, aussi n’y faites pas attention.

Soren hocha la tête devant les conseils de Kana, bien qu’il sache déjà tout ce qu’elle lui disait, depuis le temps il avait appris les comportements à éviter avec Mia. Au moins, cela lui prouvait que Soma- sama était un bon docteur.
Ils arrivèrent alors devant la porte de la chambre, la 504. Sans entendre les paroles du médecin tant l’angoisse lui comprimait la poitrine, Soren respira un grand coup avant d’ouvrir doucement la porte.

Bonjour, maman ! Comment vas-tu ?

Le jeune homme s’était composé un grand sourire franc, bannissant son inquiétude au fin fond de son cœur. Son regard tomba alors sur sa mère. Elle était couchée sur un lit d’hôpital, ses yeux rivés sur le plafond de sa petite chambre. Quand Soren lui parla, elle tourna lentement la tête, les yeux anormalement fixes, avant de dire d’une voix vide :

« Qui êtes-vous ? »

Soren se sentit vaciller. Il s’y était attendu, à ce comportement, il n’empêchait qu’il avait du mal à l’encaisser. Il s’approcha maladroitement, et lui répondit d’un ton tremblant un peu où perçait son désespoir.

Enfin, maman, c’est moi, Soren. Ton fils, tu te souviens ?

Ses paroles sonnaient faux. Tentant de se reprendre, Soren continua d’un ton qu’il voulut enjoué :

Regarde, je t’ai apporté tes fleurs préférées, les orchidées. Tu sais, un jour tu m’avais dit qu’elles te rappelaient de bons souvenirs. Tu te rappelles ? Elles sont jolies, n’est-ce pas ? Je me suis dit qu’elles te feraient plaisir après ton changement d’hôpital.

Le terminale s’efforçait de parler d’un ton détaché, et assez fort pour que Mia comprenne ce qu’il disait. Il luttait à chaque instant pour retenir les larmes qui lui picotaient les yeux ; la présence de sa mère, avec tous les souvenirs qui l’accompagnaient, le troublait toujours au plus haut point, lui nouant douloureusement la gorge et l’estomac.

Kana rendit de nouveau son sourire au jeune lycéen. Elle fut très touchée lorsqu’il lui apprit être soulagé de savoir que c’était elle qui devait s’occuper de Mia. Elle trouvait son inquiétude touchante, et se jura de l’aider du mieux qu’elle le pourrait. Encore une fois, Kana se laissait emporter par ses émotions, persistant à vouloir aider les gens.
Malgré ses sourires, elle sentit que sa bonne humeur ne suffisait pas à rassurer Soren ce qui la frustra grandement. Elle se contenta de regarder devant elle avant d’employer un ton des plus doux :

« Je comprends votre inquiétude, mais tout va bien ce passer… »

Puis lorsqu’il lui promit, essayant de se maîtriser avec grande peine, elle secoua la tête un sourire aux coins des lèvres.

« Je ne veux pas non plus que vous vous surmener ! Je comprends que vous vouliez aider votre mère, mais pas au détriment de votre propre santé ! Non, venez juste régulièrement, pas forcement tous les soirs ! »

Arrivés devant la porte de la petite chambre, les deux personnes restèrent quelques instants à l’observer. Soren s’excusa alors des attitudes que sa mère avait pu avoir lors de ses visites. Kana observa la porte quelques instants, tardant à répondre. Il était vrai que de maîtriser Mia était toute une histoire. La médecin avait eut beaucoup de mal et à de nombreuses reprises. Très sérieuse, elle regarda les grands yeux du garçon :

« Votre mère est malade. Je sais très bien que les réactions qu’elle a eut ou qu’elle pourrait avoir ne sont pas réellement voulues. Je ne lui en veux donc pas, je souhaite juste l’aider à aller mieux, c’est avant tout mon travail. »

Elle laissa Soren ouvrir la porte, avec une certaine appréhension. La femme était dans son lit, un regard étrangement vide se lisait sur son visage. Elle laissa le jeune garçon parler à sa mère. Elle rajouta lorsqu’il eut terminé :

« Bonjour Mia-san, c’est le docteur Soma, j’étais déjà venue la dernière fois. Nous venions voir avec Soren si vous alliez bien… »

Elle trouva l’attitude de Soren exemplaire, il s’avait apparemment comment s’y prendre, même si la réponse de la jeune femme le déstabilisa quelques instants. Kana vola à son secours en parlant distinctement, pas le moins du monde impressionnée :

« Soren a cru bon de vous apporter des fleurs, je pense que vous voudriez peut être le remercier …remercier votre fils. »

La jeune malade paraissait intriguée, et ouvrait la bouche sans qu’aucun mot ne s’y échappe. Elle cligna les yeux plusieurs fois sans rien dire, cherchant apparemment ses esprits. Elle cru alors comprendre et décréta d’une voix incertaine :

« Mon fils… ? »

Puis ses yeux étrangement brillants, une lueur démente l’animait tandis qu’elle parlait d’une voix enfantine, fixant le mur qui se trouvait devant elle :

« Soren ? Soren ou est tu, tu as encore fait des bêtises ? Ne t’inquiètes pas Soren, Papa ne t’en veut pas !! »

Il était évident que à présent la jeune femme n’avait plus conscience des personnes qui l’entouraient, et parlait à présent seule, des paroles sans sens. Kana fronça un sourcil avant de prendre des mains les fleurs du garçon et de les déposer dans un vase. Elle ignora les propos de sa patiente, et déclara avec joie :

« Ces fleurs sont tous simplement magnifiques Soren-san ! Je vous les pose à côté de vous Mia-san, je pense que vous apprécierez leur parfum ! "

Puis elle jeta un regard en direction de Soren, et lui indiqua d’un regard encourageant qu’il devait parler à sa mère.

Soren fut soulagée de l’intervention du médecin, qui lui permit de reprendre le contrôle de sa voix, qui commençait à lui faire défaut –contrecoups de l’angoisse-. Voir sa mère ainsi lui faisait énormément de mal.
Comme souvent dans ces moments-là, il eut une pensée pour son père, qui qu’il fût, qui avait abandonné sa famille dans une telle détresse. Soren ne détestait pas particulièrement cet inconnu, puisque justement, c’était un inconnu. Il ne savait rien de lui, absolument rien, et à vrai dire c’était très bien comme ça, il avait assez de problèmes à lui tout seul. Bien sûr, qu’il lui en voulait. Comment pouvait-on ne pas garder de rancune pour un homme qui avait abandonné sa femme alors qu’il venait de lui donner un enfant, la laissant aussi fragile, physiquement et mentalement, que l’enfant lui-même ? Du dégoût, voilà ce que ressentait Soren à son égard, accompagné d’une bonne dose d’indifférence. Son père était sorti de sa vie au moment même où elle commençait, il n’avait donc pratiquement jamais existé pour lui. Il n’avait pas besoin de lui. Il lui en voulait seulement pour avoir laissé autant de désordre derrière lui, maintenant c’était lui, Soren, qui en subissait les conséquences…
Le garçon soupira, chassa ses soucis, se concentra à nouveau sur son principal et actuel problème : faire bonne figure.
Les bras de Soren retombèrent, branlants, le long de son corps, lorsque sa mère débita ses paroles incohérentes. Pourquoi parlait-elle de son père ? Il n’avait rien à faire ici. Il avait toujours été comme une ombre rôdant entre Mia et lui, une ombre ressurgie du passé dont il ne comprenait pas la nature…
L’inquiétude perçant largement derrière son ton, Soren tenta d’ignorer sa crise pour parler plus fort qu’elle. Il farfouilla en même temps dans son sac pour en extirper une photo de sa mère et lui, alors qu’il n’avait que 3ans.

Regarde, Maman, j’ai aussi amené la photo que tu gardais toujours sur ton bureau. Tu vois, c’est toi, c’est toi et moi !

Sa mère prit lentement la photo, les yeux exorbités, sans dire un mot.
Le lycéen regarda Kana mettre les fleurs dans un vase vide, et s’efforça de sourire.

Comme ça, ce sera comme avant ! Tu mettais toujours des fleurs sur ta table de nuit, à la maison, pour pouvoir les sentir en t’endormant. Tu te souviens ?...

Sa voix s’était faite suppliante.

Tu te souviens ???

La femme le regarda droit dans les yeux, son visage ne trahissant aucune émotion particulière. Puis, soudainement, sa face se tordit en une affreuse grimace de dégoût, qui effraya Soren au plus haut point. Puis Mia prit la parole d’une voix rauque, basse, aigre. Insupportable.

"Bien sûr que je me souviens de toi, petit monstre… Tout est de ta faute, tu n’avais rien à faire sur la surface de cette terre ! Comment ais-je pu te mettre au monde ? Tu m’as tout pris, tout !!! Sans toi, il serait encore là…"

A présent, de grosses larmes roulaient sur ses joues fatiguées. Sa voix se fit plus claire, plus distincte, et surtout sincèrement triste.

"Il serait encore avec moi… Je l’aimais tellement."

Soren, pâle et anéanti, ne put esquisser un geste ou une parole.

Kana sentait le garçon inquiet, déstabilisé des réactions de sa mère. Cependant, il devait faire des efforts pour s’y habituer, et c’est pour cette raison que le médecin le laissa faire, légèrement en retrait. Toutefois, voyant la manière dont il s’y prenait, et les accès de folie de sa mère Kana sut qu’il n’y arriverait pas. Tout du moins pour le moment.
Elle regarda avec attention comment le lycéen s’y prenait, et son regard se porta sur sa patiente qui apparemment se sentait perdue.

La détresse du garçon toucha Kana qui restait cependant près du mur, le regard légèrement troublé. Cette situation la laissait légèrement anxieuse, lui rappelant certaines émotions qu’elle avait déjà connues. Cette gène la gagna peu à peu, sans qu’elle en connaisse la cause lui donnant quelques vertiges. Elle perdit de vue la scène l’espace d’un instant, un flou pour toute vision faisant son apparition. Bien que le temps lui parut court, elle avait passé quelques minutes adossée contre le mur le teint affreusement pale. Elle passa une de ses mains sur son visage constellé de gouttes de sueur froide, avant de reporter son attention sur la scène ouvrant enfin les yeux.

Mia criait à présent, des phrases que Kana prit du temps avant de comprendre. Elle quitta son mur non sans chanceler quelques secondes, et alla droit au lit, avant donner des calmants à la femme. Cette dernière protesta vivement, essaya de griffer la jeune femme, et hurla de sa voix suraigüe quelques instants avant de tomber lourdement sur le lit d’hôpital.
Kana sans un mot, fit signe au jeune garçon de la suivre, et se dirigea vers la sortie de la chambre. Arrivée dans le couloir, elle ferma la porte derrière le jeune garçon.

Elle ne parla pas pendent quelques minutes avant de regarder l’adolescent. Elle lui dit avec compassion, posant sa main sur son épaule :

« Je comprends votre désarroi, mais il ne faut pas perdre espoir, je m’engage à vous rendre votre mère ! Je sais que cela vous coute de la voir ainsi, mais c’est nécessaire, nous devons essayer Soren et.. ! »

Si Soren restait très pale après l’épisode précédent, il était de même pour Kana, même si cette dernière n’en comprenait pas la raison. Elle avait pourtant deja eut un aperçu des crises de Mia, alors pourquoi ? Pourquoi s’était-elle sentit mal ?

(J’aurais peut être du manger ce matin, cela ne me réussit pas tout ça ! )

Elle cligna des yeux quelques instants laissant en suspend sa phrase. Retrouvant ses esprits, elle s’efforça de sourire avant de déclarer :

« Excusez moi, je dois être fatiguée… »

Elle réfléchit au meilleur moyen d’aider Mia et Soren, mais comment pouvait elle leur porter secours n’ayant aucune connaissance au point de vue psychologie. Elle pensa immédiatement à la jeune Kajila, et pensa à ce que cette dernière lui avait apprit sur ses travaux avec des patients. Elle se demandait si elle s’était remise de son aphonie avant d’avoir une idée. Elle demanda à Soren :

« Soren-san, J’ai peut être une idée, mais il me faudrait votre accord… »

Soren, les yeux exorbités, recula d’un pas chancelant. Ces paroles, il les avait entendues tant de fois de la bouche de sa mère… Trop de fois. Elles l’atteignirent de plein fouet, comme une vague d’eau glacée.
Elle ne l’aimait pas, elle ne l’aimait pas, elle ne l’aimait plus… Pourquoi lui disait-elle des choses pareilles ? Qu’est-ce qu’il avait fait pour les mériter ? Il avait toujours fait de son mieux pour s’occuper d’elle quand elle n’avait plus pu s’occuper de lui ! Il l’avait rassurée quand elle avait peur, il l’avait calmée quand elle était en colère, il l’avait réchauffée quand elle avait froid… Ce n’était pas de sa faute si les services sociaux les avaient séparés, la forçant à vivre dans un hôpital ! Il n’avait jamais voulu ça ! Ce n’était pas de sa faute…
Et pourtant si. S’il n’avait pas été là, jamais elle n’aurait été dans cet état. Jamais elle ne se serait retrouvée dans cette chambre trop blanche, dans cet hôpital trop propre. Jamais elle n’aurait perdu sa santé. Jamais elle n’aurait prononcé ces paroles ! Tout était de sa faute… Il ne créait que des ennuis à ceux qui l’entourait… S’il n’avait pas été là, tout serait différent. Merveilleusement différent ! Son existence même était une abomination, elle n’avait pas lieu d’être….
Soren prit sa tête dans ses mains, tentant d’arrêter le flot de ses pensées affolées. Il ne vit même pas le malaise du docteur Soma, et ne releva la tête que lorsque Kana eut donné –de force- des calmants à Mia. Il n’avait pas eu la force de faire ne serait-ce qu’un geste pour l’aider, malgré la rage qu’avait mis la malade à se débattre. Il en avait été tout bonnement incapable.
Les yeux embués de larmes qu’il retint de toute ses forces, il suivit docilement la jeune femme hors de la chambre de sa mère, plutôt soulagé de quitter cet endroit, bien que toujours perturbé. Il tenta d’esquisser un sourire de remerciement lorsqu’elle posa la main sur son épaule et essaya de la rassurer, sans grand succès malheureusement. La regardant de ses yeux reconnaissants, Soren remarqua alors que le visage de Kana était livide. Quand elle ne termina pas sa phrase, il s’inquiéta.

Docteur ? Vous allez bien ?

Son excuse ne le rassura qu’à moitié, et il remarqua :

Je sais que je suis mal placé pour vous donner de conseils, Soma-sama, mais vous devriez vous reposer. Vous semblez à bout de force…

Lui-même n’en pouvait plus, sa brève entrevue avec sa mère l’avait vidé. Aussi entrevit-il la proposition de Kana comme une lueur d’espoir.

Dites-moi. Si l’on peut faire quelque chose pour améliorer son état, je sui prêt à le faire quel qu’en soit le prix…

Kana entendit à peine la question du lycéen. Perdue dans ses pensées, la jeune femme réfléchissait à ce qu’il venait de se produire. Tourner la question dans tous les sens possibles et inimaginable ne l’aider pas à comprendre, et c’est avec une voix altérée par les événements que Kana répondit à Soren :

« Je.. je vais très bien, merci de vous en inquiéter… »

Elle lui adressa un pal sourire, plus pour qu’il ne s’inquiète pas que par réelle envie. Ce dernier était aussi ébranlé que le médecin, et se mit à lui donner des conseils. Kan trouva la situation amusante. C’était le lycéen qui lui indiquait la démarche à suivre alors que c’était elle le médecin !

« Oui, vous avez raison… »

Elle remarqua que la cafeteria des infirmiers se trouvait juste à côté. Elle fit signe au jeune garçon de la suivre, et entra dans la salle presque déserte. Elle ferma la porte, et trouva une petite table à l’écart. Prenant au passage deux cafés au distributeur automatique, elle s’assit avec un certain soulagement, et posa les deux tasses fumantes devant elle.
Elle invita du regard Soren à s’asseoir.

« Il n’y pas d’autre boisson que le café, j’espère que vous aimez ! Buvez, ça vous fera du bien. Rien de tel qu’un petit café pour reprendre de l’aplomb ! »

Elle s’efforça de paraître sereine, et but peu être un peu trop rapidement le liquide, qui lui brula la gorge. Elle laissa le silence s’installer le temps de finir la tasse, et exposa ce qu’elle comptait faire au jeune garçon.

« Voila, pour ce qui est de votre mère, il lui faudrait un appui de psychologues pour mieux l’aider à sortir de sa maladie. Je ne possède que des connaissances précaires sur le sujet, et je ne sais pas si nous pourrons trouver des psychologues qui accepteront de s’occuper d’elle sur long terme, son état n’étant pas assez sérieux…Par contre, je connais une jeune fille qui pourrait vous aider, aider Mia. Bien sur, il me faut votre accord, celui de mon supérieur, et de la personne concernée ! »

Avec le ton le plus doux dont elle était capable, elle lui demanda :

« Qu’en pensez vus Soren-san ? »

Soren était encore agité de temps à autre de tremblements involontaires.
Il n’arrivait pas à accuse le coup, les paroles de sa mère lui avaient fait bien trop mal. Il détourna la tête un moment et serra les dents, tentant de refouler ses frissons involontaires, sans grand succès. Ses entrailles étaient nouées par la confirmation d’une crainte, et le jeune homme avait le plus grand mal à retenir les larmes de ses yeux humides.
Soren, à ce moment là, n’était plus un garçon de 18 ans, il n’était plus qu’un gamin apeuré, effrayé par la folie de sa propre mère, seul, perdu au milieu d’un monde d’adultes, qui ne savait pas à qui demander de l’aide ; tout le monde lui faisait peur, son monde s’écroulait autour de lui…
Enfin, à force de respirer lentement, avec force, il réussit à reprendre un semblant de calme, même s’il était encore loin de son état normal.
Pour lui si rêveur, les crises de sa mères étaient plus que douloureuses par leur horrible réalité, à laquelle il n’y avait aucun moyen d’échapper.
C’est lorsqu’il réussit à juguler l’angoisse qui lui étreignait la gorge en un étau impitoyable qu’il put remarquer le malaise du docteur Soma, et s’en inquiéter. Il était parvenu à faire confiance à la jeune femme, il ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose. Il était sûr que ce serait tout à fait son genre de se surmener pour aider ses patients.
Lui aussi amusé par le fait que ce soit lui qui lui donne des conseil, il esquissa un pâle sourire, il n’avait pas encore totalement récupéré.
Il suivit Kana jusqu’à la cafétéria avec soulagement : un remontant, c’était exactement ce qu’il lui fallait. S’asseyant à côté d’elle, il la remercia.

Merci beaucoup, je pense que j’en ai besoin, de ce café !

Il voulut sourire, mais ne réussit qu’à faire une sorte de grimace qu’il dissimula dans sa tasse fumante. Le liquide chaud lui fit beaucoup de bien, et l’apaisa un peu ; il desserra les dents et cessa de trembler. Ni lui ni Kana ne dirent rien pendant un moment, ce qui ne le dérangea pas et même lui permit reprendre ses esprits. Puis, lorsqu’elle reprit la parole, il l’écouta attentivement. Il n’y connaissait absolument rien en médecine, et avait déjà décidé de faire une confiance aveugle au médecin Soma en ce qui concernait le traitement de sa mère. Aussi, il ne fit aucune difficulté pour accepter ce qu’elle lui proposait.

Si vous pensez que c’est la meilleure solution, je vous fais confiance. Je suis d’accord, et j’espère seulement que cette jeune fille le sera aussi.

Fronçant les sourcils, il demanda toutefois des précisions.

Mais en ce cas, est-ce que vous confierez totalement le soin de… de ma mère à cette personne, ou est-ce que vous continuerez à la soigner ? Et…je ne sais pas si c’est un problème, mais je ne suis pas majeur…aussi, s’il y a des papiers à signer…surtout qu’à ma connaissance, ma mère est la seule famille qu’il me reste…

Ennuyé, Soren se frotta la nuque. Il ne se connaissait pas d’autres parents que Mia ; si légalement il fallait l’accord d’une personne majeure, ce serait celui de la malade qui n’était pas en état de décider quoi que ce soit… Le garçon espéra que tout cela ne poserait pas de problèmes.

Et cette jeune fille, qui est-ce ? Une stagiaire ? Vous la connaissez personnellement ?

Soren voulait en savoir plus sur celle qui s’occuperait désormais de sa mère ; il espérait qu’elle en serait capable, on ne pouvait pas dire que Mia était un cas facile…

Le jeune Soren avait l’air également d’apprécier le petit remontant, et buvait à présent son propre café. Le silence qui suivit fut bénéfique aux deux personnes, les tremblements incontrôlés du lycéen s’estompant peu à peu.
Kana se détendit légèrement, soudain plus légère. Elle allait à présent beaucoup mieux et reprenait de jolies couleurs.
La confiance que le jeune homme lui accordait lui fit très plaisir, au moins elle était convaincante en tant que médecin ! Reconnaissante, elle lui répondit soulagée :

« Je pense en effet que c’est la meilleure chose à faire dans l’immédiat…. Merci de me faire confiance Soren-san, je suppose que cela doit être dur de vivre avec une mère malade ... »

Elle lui lança un regard compatissant, combien de familles déchirées par la perte ou la maladie grave d’un proche avait-elle vu ? Sûrement plus qu’elle n’aurait voulu ! A chaque fois elle s’était donnée au maximum pour pouvoir aider ces pauvres gens. Le travail était pour elle le meilleur moyen d’aider des gens, la détresse de certains la touchait tellement ! Le jeune garçon désirait cependant en savoir plus. Kana n’en fut pas étonnée, et s’empressa de lui répondre :

« Oui, je serais toujours présente pour assister votre mère, lui prescrire des médicaments… Si vous pensez que je vous demande cela pour mieux me débarrasser de votre mère, -ce que je comprendrais- je vous assure qu’il n’en est rien ! »

Soren exprima ensuite son angoisse face aux problèmes des papiers qu’il aurait éventuellement à signer.

« Il n’y a pas a vous inquiéter pour cela, quel est votre tuteur ? Votre mère ? Je suppose que vous vivez en internat, ou quelque chose du genre…il me paraîtrait étrange que Mia-san ait votre tutelle dans un tel état…. »

Ce que lui avoua le garçon lui fit peine. Elle trouvait qu’il était bien courageux de vivre seul avec pour seule famille une mère malade, et mentalement instable. Elle n’avait jamais eut ce problème là, issue de bonne famille qui plus est aimante, ce genre de situation lui était inconnue. Quand on voyait ce garçon rêveur, l’on avait du mal à croire qu’il porte en lui autant de souffrance.

« C’est une lycéenne, mais j’ai totalement confiance en elle, elle est très déterminée, plusieurs personne m’ont indiqué qu’elle faisait du bon travail et je n’en doute pas… au pire, si vous pensez que son travail n’est pas satisfaisant, vous pourrez toujours la renvoyer…. »

Elle se leva de son siège, et se dirigea vers la sortie de la pièce et jeta un coup d’œil à sa montre. Sa pause venait de se terminer, elle devait à présent partir. Elle se tourna vers le terminale.

« Oh, il est déjà l’heure, je dois vous quitter Soren-san … Ca va aller au moins ? Si vous pouviez me donner votre réponse définitive dans la semaine cela m’arrangerait. »

Elle continua avec douceur :

« Je suis là du mardi au jeudi. Si vous désirez me voir pour parler de Mia surtout n’hésitez pas, j’ai des pauses assez souvent… surtout n’ayez pas peur de me déranger, je me ferais un plaisir de vous recevoir… »

Soren se sentait nettement mieux : même s’il frissonnait parfois involontairement, il n’avait plus ces spasmes douloureux qu’avait fait naître son entrevue avec sa mère. Et dire qu’il avait craint cette rencontre… Il n’aurait pas pu imaginer pire.
Pour le moment, il reléguait les mots blessants de sa mère au fond de son esprit. Il écoutait avec attention la jeune femme, car il savait que lorsqu’il serait seul et qu’il se remettrait à rêvasser, ses paroles lui reviendraient à l’esprit avec une force redoublée. Il appréhendait un peu ce moment…
Dans tous les cas, il était prêt à tout pour que son état s’améliore, bien qu’il ait du mal à garder espoir. Etant donné que rien n’avait changé depuis ces dernières années, malgré tous les soins, tous les médicaments, toutes les thérapies qu’on avait pu lui donner…
Toutefois, les paroles rassurantes du docteur lui apportaient un réel réconfort.

Oui, enfin… Au moins, j’ai une mère.

Ses yeux se perdirent dans le vague tandis que son visage s’adoucissait.

Et ses moments de lucidité valent bien quelques crises… J’aimerais que vous la voyiez pendant ces instants-là.

Ses pensées s’égarèrent quelques minutes sur les souvenirs de la complicité qu’il avait partagée avec Mia, et qu’il partageait toujours bien que très rarement. Finalement, quelque part, sa mère ressemblait beaucoup à Kana, l’expérience et la maturité en plus : elle était douce, gentille, amusante. Elle riait tellement, avant… Mais il y avait bien longtemps que sa mère avait cessé de rire.
Soren se sentit blessé quand Kana pensa qu’il avait cru qu’elle voulait se débarrasser de sa patiente. Il eut une réponse indignée. Quand il lui avait dit qu’il lui faisait confiance, il était sérieux !

Jamais je n’aurais pensé une chose pareille !

Le jeune homme fut ensuite touché par la sollicitude et la compassion du docteur. Il savait qu’elle le comprenait mieux que n’importe qui, pour être témoin en permanence des souffrances des autres. Il savait aussi quel courage cela exigeait.

Je vis dans une pension pour garçons… Ce qui me convient tout à fait !

Soren était sincère. Il aimait réellement l’endroit où il habitait. Surtout après avoir passé une grande partie de son enfance dans cet horrible orphelinat ! Là-bas, il avait en permanence l’impression d’être enfermé… Le garçon était à l’étroit partout, et il avait besoin de tant d’espace. Parfois il se voyait prisonnier de son propre corps. Finalement, s’il rêvait si souvent, c’était peut être parce que c’était le seul moyen de s’échapper…
Il fut intrigué par la description que la jeune femme lui fit de la personne qui devrait à l’avenir s’occuper de sa mère ; à l’entendre, il semblait qu’ils avaient le même âge.

Non, non, si vous la pensez qualifiée pour… pour soigner ma mère, je vous crois. Vous me la présenterez si elle donne son accord…

Soucieux, Soren regarda Kana se lever de sa chaise, puis s’excuser : sa pause était terminée, elle devait retourner travailler. Rougissant un peu de l’avoir retenue si longtemps pour des questions personnelles, il lui répondit :

Je suis désolé de vous avoir monopolisée si longtemps… Je vous contacterai le plus tôt possible, mais à priori je suis d’accord.

Il fit tourner sa tasse entre ses doigts, avant de se lever à son tour et de la ranger. Puis il adressa à la jeune femme un regard reconnaissant ; il était content de l’avoir rencontrée.

Je vous remercie beaucoup pour tout ce que vous faites pour moi. Je reviendrai vous voir, c’est promis.

Sur ce, il la salua, puis sortit de la salle. Il parcourut rapidement les couloirs de l’hôpital, jusqu’à la sortie.
Ce ne fut qu’une fois dehors, et seul, qu’il put respirer, et laisser les larmes couler sur son visage, sous les yeux éberlués des passants.