Mélancolie et rencontre anodine

Il était rare que Miyuki se rende sur la tombe de ses parents. Et encore plus sur celle de son père qu'elle détestait par-dessus tout. Mais submergée par un sentiment de mélancolie elle s'y rendit tout de même pour y déposer quelques cadeaux. Deux bouquets de fleurs dans les bras, c'est avec la plus grande souffrance qu'elle entra dans le cimetière qui lui rappelait tant de mauvais souvenirs. La subite mort de sa mère quelques annèes à peine après le décès de son père, les douloureux moments de solitude et d'angoisse, l'indifférence des autres enfants Sôma, une grande maison désormais vide, tout cela lui pesait tellement. Elle traversa les allées et lisait les noms gravés sur les pierres. Elle s'arrêta. Elles étaient là, côtes à côtes. Miyuki s'agenouilla et déposa les fleurs. Elle resta un instant ainsi, le ragard dans le vague.
Si seulement il ne s''était pas noyé lors de cette tempête....sa mère ne serait pas morte et ils vivraient bien gentiment dans leur maison en se plaignant de tout et de rien, heureux peut-être, mais trop orgueilleux pour l'admettre. Cela aurait été bien quand même...

"Maman....et même vous père, je suis venue vous voir. Désolée pour mon ratard...j'espère que vous ne m'en voulez pas...Si ?....... Pardonnez-moi...."

Il était peut-être stupide de parler....seul...mais elle ne pouvait s'empêcher de s'excuser, encore et inlassablement.

"Pardonnnez-moi....je suis faible hein, père ? Vous n'avez rien voulu me laisser mais je suis toujours là."

Un sentiment de haine commencait à l'envahir, encore. Ce père indigne qui avait tout légué à Akito, laissant la pauvreté de sa mère les rattraper. Mais la famille Sôma avait daigné avoir un peu de pitié et leur avait laissé la maison et de plus leur versait une petite somme chaque mois. Miyuki se releva brusquement et regarda de haut la tombe de son père.

"Ordure....je sais que vous ne m'aimiez pas, mais pour maman, pour elle, vous auriez tout de même pu...ne serai-ce qu'un peu.....d'argent !!"

Elle se tût et releva la tête. Elle avait entendu des bruits de pas derrière elle mais n'osait pas tourner la tête pour voir qui était-ce.

La nuit n’était pas encore tombée. Le jour s’en allait doucement pour lui laisser sa place, abandonnant de longues traînées roses, vertes, orangées dans le ciel d’azur qui déjà s’assombrissait. Une parcelle de soleil, encore visible à l’horizon, s’attardait encore, nimbant d’éclats dorés les nuages qui filaient, poussés par la brise vespérale.
Hatori avait décidé de profiter de cette soirée de libre pour se promener. Laissant ses pensées vagabonder, le Dragon ne réfléchissait pas et marchait au hasard. Il admirait au passage les arbres colorés, à l’apogée de leur floraison. Leurs lourds parfums embaumaient l’air, plus sûrement que l’encens, propices à la rêverie.
Le médecin savourait le calme de cette soirée, quand il se rendit compte qu’il était arrivé devant le cimetière. Hatori hésita un moment, puis entra. Voilà bien longtemps qu’il n’était pas allé au cimetière où étaient enterrés les membres le la famille Soma pour se recueillir sur leur tombe. Il avait tant à faire avec les vivants qu’il avait tendance à négliger les morts…
L’esprit occupé par les souvenirs de sa famille, il marcha d’un pas lent au milieu des stèles gravées, au milieu de défunts dont les noms ne signifiaient rien pour lui.
Mélancolique, il pensa à sa propre mort. Curieusement, cette idée ne l’effrayait pas le moins du monde ; il pensait avoir assez souffert sur cette terre pour ne pas regretter de la quitter le jour venu. Il passa devant plusieurs caveaux, les yeux ternis par un voile de tristesse, les mains dans les poches. Il effleura les pierres froides, laissant son regard aller à la dérive, glissant sur les fleurs ou autres offrandes funéraires déposées sur les tombeaux. Il se demanda vaguement si, à sa mort, quelqu’un viendrait poser des fleurs sur sa sépulture…puis chassa cette pensée aussi vite qu’elle était venue.
C’est alors qu’il entendit des cris. Aussitôt, il s’inquiéta, craignant qu’une personne se soit blessée, et courut jusqu’à l’endroit d’où provenait la voix. Coupé dans son élan, il s’arrêta net à la vue d’une jeune fille, d’environ 16 ans, une expression à la fois triste et féroce sur le visage, tel que le médecin n’en avait jamais vue. Confus, il se rendit compte que la lycéenne était certainement venue se recueillir sur la tombe d’un de ses proches, et que l’émotion l’avait fait parler à voix haute.

Oh, je… Je vous prie de m’excuser… Comme j’avais entendu quelqu’un crier, j’ai pensé que peut être quelqu’un s’était blessé. Je ne voulais pas vous déranger.

Mal à l’aise devant cette situation gênante, témoin involontaire des sentiments de la jeune fille, il recula de quelques pas, ne voulant pas la contrarier encore, et s’apprêtant à repartir comme il était venu.

Il n'y avait rien à faire, tout n'était que tristesse et désolation en ce lieu. Miyuki se répétait encore et encore: "Je n'aurais jamais du venir. Je n'aurais jamais du revenir en ce lieu où mort et déséspoir se mêlent. Là où tant de gens ont pleuré et pleureront encore inévitablement. Qui a dit que l'ironie du sort était drôle ?" Un sourire amer s'afficha sur son visage ou des larmes de chagrin et de rage se confondaient. Le soleil n'était maintenant qu'une timide tâche au-dessus de l'horizon, comme si lui aussi voulait se cacher pour pleurer face à cette déstinée qui nous attendait tous: la Mort.

Miyuki leva la tête vers le ciel. Il était d'un bleu si profond et si tendre qu'elle aurait voulut se noyer dedans. Elle entendit des pas précipités. Elle se figea d'horreur n'osant se tourner pour voir qu'elle était la personne qui avait surpris ses paroles plus que gênantes. Primo elle parlait seule et secondo elle criait sur un mort. Cette personnne devait la prendre pour une folle. Miyuki prit son courage à deux mains et fit face à la personne en qui elle avait le plus confiance parmis les Sôma: le medecin chargé d'elle, Hatori.
Son visage devait paraître un peu bizzare. Miyuki ressentait beaucoup de choses en cet instant. Elle fut d'abord extrêmement surprise, elle sursauta donc. Puis de la peur: la voir ici, au cimetière, en train d' hurler ne devait pas faire bonne figure auprès d'un visiteur extérieur. Mais parmis tous ces sentiments, aussi étranges qu'inabituels, il en fût un qui la marqua mille fois plus qu'un autre. Celui-ci se manifesta lorsque le médecin s'excusa.
Pourquoi adopter un tel comportement face à elle ? Elle n'était rien. Elle n'était qu'une orpheline parmis tant d'autres et qui plus est parmis l'immense famille Sôma ! Alors pourquoi lui manifestait-on de l'intêret ? Non ! Non, il ne la dérangait absolument pas ! Si quelqu'un devait s'excuser et implorer le pardon s'était bien elle !
Rouge de honte et de bonheur elle s'eclama un peu prise au dépourvue:

Non ! Non surtout pas ! C'est moi qui doit vous présenter des excuses. Votre présence ne me dérenge absolument pas !

Un peu perdue, elle se sentait tellement honteuse d'agir ainsi. Si seulement elle avait pu contrôler sa rage et sa tristesse, elle ne se serait pas trouvée dans une telle situation. Ne sachant plus que faire elle fit se qu'elle avait l'habitude de faire: elle s'inclina bien bas devant Hatori.

Je vous pris de me pardonner pour ma conduite scandaleuse, je ne le ferai plus. Je vous le promet.

Elle se redressa et regarda ailleurs de peur de voir l'expréssion de contrariété que devait afficher l'adulte.

C'est juste que...ici c'est un peu...triste...

Le mot triste était tellement faible pour qualifier ce lieu. Ce cimetière n'inspirait que peur et autres sentiment négatifs qui avait le don de lui donner la chair de poule. Quiconque aurait peur de mourir ou de voir mourir...

Hatori fut quelque peu surpris des excuses pour le moins véhémentes que lui adressait avec empressement la jeune fille.
Il la reconnut avec un temps de retard : c’était Miyuki, une des jeunes orphelins dont il avait la charge dans la famille Soma. Le Dragon fut d’autant plus gêné de l’avoir dérangée qu’apparemment elle était venue voir la tombe de ses parents, et le médecin ne se rappelait que trop bien leur histoire tragique. S’il se souvenait bien, le père avait dépossédé sa fille de tous ses bien pour les léguer à Akito… Laissant du même coup sa petite fille dans le plus grand dénuement. Maintenant Hatori comprenait cette colère qu’elle avait montrée il y avait quelques secondes. Il comprenait, mais ne prenait pas parti. Il ne cherchait pas à savoir si ce qu’avait fait ce père était bien ou mal. Cela ne le regardait pas, qui était-il pour le juger, lui ou un autre ? Il compatissait seulement, en lui-même, à la détresse de la jeune fille.
Voyant qu’elle était devenue écarlate, le Dragon la rassura.

Je comprends tout à fait que vous ayez voulu vous recueillir sur une tombe familiale. Vous n’avez pas à vous excuser d’avoir parlé à voix haute, je sui vraiment désolé de vous avoir interrompue.

Hatori ne se sentait pas à sa place ici ; il n’avait rien à voir dans ce drame familial et ne savait que dire à Miyuki. Il n’aurait tout simplement pas dû se trouver ici, et l’interrompre dans ses confessions qui ne regardaient qu’elle. Il n’aurait pas dû les entendre, même seulement en partie. Le fait que Miyuki s’incline devant lui renforça son malaise ; il avait l’impression d’abuser de son autorité sur l’adolescente. Sans laisser voir aucune de ses émotions, il répondit, sans prendre aucune intonation particulière :

Relevez-vous. Votre conduite n’est absolument pas scandaleuse. Votre douleur est plus que compréhensible, et c’est moi qui suis en faute : je n’aurai pas dû me trouver ici.

Elle fuyait son regard. Et s’il lui faisait peur ? Cette pensée traversa Hatori, le glaça un moment, puis s’en fut comme elle était venue. Son regard tomba alors sur les noms gravés dans la pierre blanche et froide de la tombe.

Vous êtes venue visiter la sépulture de vos parents, n’est-ce pas ?

Hatori avait bien perçu la tristesse dans la voix de la lycéenne. Il la regarda de ses yeux verts, clairs et profonds, le visage toujours blasé, avant de dire d’un ton neutre, derrière lequel perçait un peu de douceur :

Si je peux vous donner un conseil… Ne vous emmurez pas dans votre chagrin, qu’il soit occasionné par la perte de vos parents ou quoi que ce soit d’autre. Vous êtes trop jeune pour avoir tant de regrets.

Bien que froid, son ton était sincère : le Dragon parlait en connaissance de cause. Lui, il n’avait pas la force de repousser ses regrets…

Miyuki quelque peu mal à l'aise, n'osait le regarder. Mais ceci était un manque de respect total. Sa mère le lui avait bien apris. Elle consentit à le regarder droit dans les yeux. Ce fut instentané ! Ces magnifiques yeux vert, clairs, accompagnés des paroles rassurantes du médecin.... Pourquoi s'obstinait-il à s'excuser ? Qu'avait-il interrompu de si important ? Un délire total d'une jeune fille qui devient folle de solitude ? En fait, en y réfléchissant, le fait qu'il soit venu à ce moment précis fut un vrai miracle. Sinon qu'aurai-t-elle fait ensuite ? Aurai-t-elle continuait ainsi et puis...Mieux vallait ne pas y penser et profiter de cet instant devenut si précieux à ses yeux. Il parut embarrasé. Il ne semblait ne savoir que dire. Un moment de silence passa et Hatori le brisa soudain.

Pourquoi continuait-il à s'excuser ? Miyuki était très embarrassée mais aussi un peu agacée. Tout n'était-il pas de SA faute ? Si...Bien sûr que si. C'en était assez.

Arretez ! Arretez je vous en pris ! Tout cela n'est pas de votre faute...
Elle est la mienne...chuchota-t-elle.

Elle regarda vers sa gauche, la tombe de ses parents.

Oui, dit-elle dans un souffle. Ce sont bien mes parents, oui...

Elle se tut un instant, releva la tête et regarda d'un air d'excuse Hatori.

Des regrets, oui...Un chagrin peut-il s'effacer si facilement ? Avez vous une solution pour remédier à tout cela ?

Hatori fronça les sourcils. Pourquoi baissait-elle tout le temps les yeux ? Et pourquoi prenait-elle tout le tort sur elle ? Il allait finir par croire qu’il lui faisait peur…
Histoire de ne pas en rajouter, il ne répondit rien. Inutile d’épiloguer pendant une heure. Le maudit ressentait une grande lassitude, tout d’un coup. Son attention était ailleurs… Très loin, très haut, près des nuages, dans un passé qui ne revivrait jamais…
Ce cimetière possédait une aura presque palpable de mélancolie et de tristesse. Ou peut être qu’il imaginait tout simplement cette ambiance… en tout cas, c’était ce qu’il ressentait.
L’esprit perdu dans ses réflexions amères et ses rêveries, il tourna lentement la tête à la question de Miyuki. Ses idées mirent un moments à se remettre en place…

Une solution…

Détournant le regard vers le champ de tombe, il soupira, et réfléchit.

Non, il n’y a pas de solution. Et rien ne s’efface. Rien. Jamais.

La regardant à nouveau, il lâcha :

Il faut accepter les faits…tels qu’ils sont. Et vivre avec.

Miyuki avait un regard si triste…il espérait qu’elle n’était ni aussi abattue, ni aussi résignée que lui-même… Tant de douleur dans ses yeux… Elle était beaucoup trop jeune pour renoncer à se battre.

Vous y arriverez un jour ou l’autre. Il faut juste du temps…et du courage.

(Et moi, je n’ai plus ni l’un, ni l’autre…)

Le médecin frissonna, soudain très las. Il n’avait peut être pas choisi le meilleur endroit pour se promener et se détendre…

Miyuki n'en pouvait plus de cette situation pesante. Elle avait l'impression d'embarraser Hatori, de lui faire perdre son temps. Devant ce sentiment de malaise, Miyuki décida de se reprendre, de changer de sujet. Le lieu n'était déjà pas très joyeux alors pourquoi en rajouter ? Elle sentit un pincement au coeur lorsque Hatori lui affirma qi'il n'y avait aucune solution. "Rien ne s'efface. Rien. Jamais. Il faut accepter les faits…tels qu’ils sont. Et vivre avec."
Vivre avec...Comment faire ? Est-ce qu'il fallait tout oublier ? Et vivre en faisant semblant de ne rien savoir ? Miyuki leva la tête vers Hatori et le regarda, tentant de voir ou de déceler ne serait-ce qu'un peu de réconfort dans ses yeux. Mais cette tâche n'était pas simple, Hatori n'est pas du genre à laisser transparaître ses sentiments. Miyuki lui sourit. Cétait peut-être orgueilleux de penser cela mais Miyuki espérait qu'Hatori ne s'inquièterait plus pour elle. "Tu y arriveras un jour ou l’autre. Il faut juste du temps…et du courage."

(Merci..) Merci beaucoup Hatori-san.... Je me permet d'être orgueilleuse en prenant vos paroles comme encouragements. Ne m'en voulez pas, j'en ai tellement besoin.

Miyuki vit le médecin frissoner. Elle savait qu'il aurait mieux vallu qu'il ne vienne pas. Qu'il se promène dans le parc où dans la ville qui commencait à s'illuminer. Au moins elle ne lui aurait pas imposé sa présence qui semblait le rendre si las...Peut-être était-il lui aussi triste, seul et désemparé devant le destin. Peut-être lui aussi avait-il besoin de réconfort et d'encouragement. Oui...peut-etre.

Vous aussi...il ne faut pas abandonner. Nous avons chacun notre part de lutte durant notre vie. Peut-être que si nous faisions des efforts....plus d'efforts alors un jour, peut-être, nous serons libre...libre de quoi, je n'en sais rien. Peut-être de notre passé ou de nos souffrances...

Miyuki lachait ses paroles sans vraiment sans rendre compte. Hatori devait la trouvait bien stupide, mais qu'importe. Miyuki essayait de croire en ses paroles, aussi absurdes qu'elle soient.

Hatori était à nouveau perdu dans ses souvenirs, totalement déconnecté de la conversation en cours.
Il pensait pêle-mêle aux Douzes, à Tohru, à Kana, à Akito, des noms et des souvenirs s’entrelaçaient dans sa tête ; une image en appelait une autre, des craintes refoulées refaisaient surface, des sentiments oubliés se montraient à nouveau…
Le médecin ferma un moment les yeux, puis les rouvrit aussitôt en réalisant que Miyuki lui adressait la parole. N’ayant saisi que sa dernière phrase, il marmonna :

Je vous en prie…

…en espérant que cela collerait avec le reste de la conversation. Le Dragon passa la main dans ses cheveux et tâcha de reprendre ses esprits pour comprendre ce que lui disait la jeune fille. Il avait de plus en plus de mal à focaliser son attention, mais fit tout de même un effort pour s’intéresser à la conversation, malgré la fatigue qui commençait à l’engourdir.
Il fut un peu étonné de la profondeur de ses paroles. Quel âge avait-elle, déjà ? 16, 17 ans ? Il la regarda droit dans les yeux pour la première fois depuis leur rencontre et eut un sourire.

Voilà une réflexion bien profonde pour une lycéenne… Je crois que vous êtes bien plus sage que moi, jeune fille. Suivez donc votre propre raisonnement, continuez à penser ainsi et vous vous en sortirez toujours.

Lui-même n’avait jamais envisagé les choses de cette façon… Il était trop… trop fatigué. Plus la force de se battre.

Pour moi… Il est peut être un peu tard…

Puis il secoua la tête.

Bah, ne vous occupez pas de moi. Ca n’a plus grande importance. Vous avez encore la vie devant vous, c’est tout ce qui compte.

Hatori regardait au loin, à l’horizon. Le soleil avait presque totalement disparu. Soucieux, il consulta sa montre, puis releva la tête.

Il est déjà tard, vous devriez rentrer, Miyuki. Les rues ne sont pas sûres la nuit tombée pour une jeune fille.