Promenade

Shigure revenait d'un entretiens plutot houleux avec Akito. Ces derniers temps les deux maudits se disputaient plus qu'autre chose. Mais comme cela faisait partie des plans du jeune homme, il n'en etait pas plus affecté que cela...néanmoins il avait envie, besoin de se distraire un peu. On ne pouvait rester sérieux trop longtemps sinon il risquait de le devenir !

Il se promenait sans but dans le jardin, hésitant à venir déranger Hatori. Dans son état d'esprit il risquait de pousser les plaisanteries un peu loin et ne voulait pas trop le blsser. Surtout que son ami semblait étrange depuis...plusieurs mois. Il se fachait plus vite et avait toujours l'air soit troublé, soit perdu dans ses pensées.

Mais il ne voulait pas non plus rentrer trop tot à l maison ou Kyô et Yuki allaient se rendre compte de quelque chose.
Sous son kimono noir et son sourire habituel, Shigure se posait plein de questions. Aimait-il reellement le chef de famille ? Comment pouvait il a la fois l'aimer et la detester autant ? Parce qu'il travaillait à sa perte. Il le savait, il faisait tout pour et ainsi libérer les autres de la malédiction. Ainsi, lorsqu'il l'aurait perdue, Akito serait a lui seul ! Rien que pour lui. Et il pourrait en faire ce qu'il désirait sans être obligé de se soumettre à elle comme un bon chien.
Au détour d'un arbre, il croisa son ami, assis sur une pierre, regardant en silence le bassin aux carpes. Oubliant ses bonnes résolutions, il s'assit à coté de son ami avec un sourire et dit, un peu fort et avec une joie "legerement exagérée"

"Hey Hatori ! Quelle bonne surprise ! Je suis vraiment content de te voir ! Alors dit moi, comment vont tes amours !"

En son fort intérieur il se gourmanda de cette derniere question. Comme si Hatori avait besoin qu'on lui rappelle Kana ! Mais perdu qu'il etait dans ses pensées amoureuse, la question était sortie toute seule...

Hatori était assis sur un rocher dans le jardin des Somas.
C’était le soir, et on était à cette heure où il faisait jour sans faire jour et nuit sans faire nuit. Entre chien et loup. Le soleil avait déjà disparu derrière l’horizon, ou en tout cas n’était pas visible, et un amoncellement de nuages sombres surplombait l’ancestrale demeure des Somas.
Le vent faisait bruisser les feuilles des arbres alentours, on aurait dit que le jardin murmurait, un murmure inquiétant et continu…
Le maudit n’y prêtait aucune attention. Il regardait sans le voir le bassin qui ondulait à ses pieds. Des reflets argentés attiraient parfois son œil d’un côté plutôt que d’un autre, scintillement éphémère des écailles des poissons, mais c’était un coup d’œil machinal, indifférent.
En fait, Hatori pensait à bien d’autre chose qu’aux carpes qu’on engraissait dans le jardin de la demeure familiale.
Il pensait à cette impression qui grandissait en lui depuis quelques temps. Oh, bien sûr, il avait toujours su qu’elle était là, mais ç’avait été très facile de l’ignorer, de faire comme si elle n’avait jamais existé. Mais voilà, elle persistait, et même elle prenait de plus en plus de place. Elle avait crû sans qu’il y prenne garde, comme une sorte de jolie mauvaise herbe qu’on regarde germer avec intérêt et curiosité, en se disant qu’on l’arrachera plus tard, sans jamais le faire.
C’était une impression difficile à décrire. Un vague sentiment de déjà-vu d’abord… et puis quelque chose de nouveau, mais il n’aurait su dire quoi… C’était un peu comme une petite boule de chaleur au fond de lui, toute douce, qui ne brûlait jamais, et qui parfois remontait jusque dans sa gorge et lui procurait un profond sentiment d’allégresse.
Le problème, c’était qu’il ne savait pas quoi en faire. Il avait juré, plus jamais ça !… Il s’était promis de ne plus recommencer…
A ce moment-là, il fut interrompu dans le cours douloureux de ses réflexions par la voix de Shiguré. Une fois de plus il avait l’impression que son cousin lisait dans ses pensées… Déjà troublé, ces paroles l’irritèrent plus qu’elles n’auraient dû, et il répondit sans prendre de baguettes :

Mieux que les tiens, en tout cas ! On entendait les cris d’Akito jusqu’ici !

Pas du tout choqué par le ton pourtant un rien hostile de son cousin, le chien se fendit d'un sourire plus large encore.

T'as vu ça hein ? On aurait presque dit qu'elle était vraiment en colère !

Le jeune homme ne montrait aucune peine, aucune culpabilité non plus. Il avait même l'air tres fier et content de lui. On avait l'impression qu'il jouait d'Akito comme il le faisait avec tout ceux qui l'entourait, la plupart des gens etaient d'ailleurs persuadé qu'il detestait Akito du fin fond de son ame...ce qui n'etait pas loin d'être le cas. Le maudit detestait son Dieu au moins autant qu'il l'aimait et ce n'etait pas peu dire !

On parie combien qu'elle va passer la nuit avec cet idiot de Kureno et qu'en suite elle feignera d'être malade pour te bloquer je ne sais combien de temps à son chevet tout en esperant que je me pointe pour mieux me refuser l'entrée et me rendre ainsi jaloux de toi ?

Il haussa les epaules

Comme si je ne savais pas que tu serais le dernier d'entre nous à sortir avec elle...elle me prend vraiment pour un imbécile. Si elle continue ainsi elle va finir par me perdre pour de bon.

Se rendant compte qu'il en disait trop (Hatori avait souvent cet effet, on se confiait à lui sans savoir pourquoi et en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire on se prenait à lui dire tous ses secrets ! Heureusement qu'il se surveillait plus ou moins et qu'il avait confiance en son cousin), il sourit, enigmatique et lanca, plus joyeusement encore :

Ohhhhhhh ! Mais tu n'as pas dit que tu n'avais pas d'amours !! Alors dit moi c'est qui ? c'est qui ? c'est qui ?

Il laissait sa curiosité l'emporter, comme un enfant sans laisser à son ami le temps de répondre puis se fit l'avocat du diable.

Tu n'as pas cédé à Mayuko quand même, prendre l'une de mes ex, tu me decevrais beaucoup !

Il essayait visiblement de mettre Hatori très en colère. Ainsi il obtiendrait plus d'informations, sans compter qu'il était reellement curieux de voir ce qui rendait son ami aussi susceptible ! Et puis s'il etait amoureux (ce qu'il commencait à envisager serieusement), c'etait la meilleure chose qui puisse arriver au medecin ! Il en serait réellement heureux pour lui.

Tu sais, ce n'est pas avec les relations que j'entretiens en ce moment avec note chef de famille bien aimé que je risque de te trahir si c'est ce que tu crains !

Cette derniere phrase, par contre et bien que dite avec autant de legereté que les autres refletait reellement la pensée du chien. Il savait que les gens craignaient de se confier à lui, ce dont il se fichait, mais pensait souvent que cela bloquait Hatori, ce qui l'attristait. Biensur il ne pouvait jurer qu'il ne trahirait jamais son ami mais au moins il ne le ferait jamais pour le plaisir !!

Hatori soupira en entendant la réponse de Shiguré.

Il n’y a vraiment pas de quoi en être fier !

Le maudit ne savait pas vraiment ce que son cousin recherchait avec Akito, mais à vrai dire il ne voulait pas vraiment le savoir. Le peu qu’il avait entrevu suffisait à lui faire peur…
A vrai dire au moment présent il avait bien d’autres choses en tête. Il était comme engourdi, somnolent, et n’arrivait pas vraiment à fixer son attention sur le Chien. Il l’écouta passivement, sans vraiment entendre ce qu’il lui disait. Petit à petit, cependant, ses paroles se frayèrent un chemin dans son cerveau.
Hatori releva la tête, surpris, aux derniers mots de l’écrivain.
Il ouvrit la bouche, les sourcils froncés, allait lui poser une question, mais le Chien devait lui aussi avoir l’impression d’en avoir trop dit, car il changea aussitôt de sujet. Sa question horripila d’ailleurs tellement l’hippocampe qu’il en oublia ses propres interrogations.
Shiguré avait sa tête de « je t’embêterai jusqu’au bout », et il allait sûrement le taquiner avec des sujets gênants dans les cinq secondes qui suivraient.
Bingo.
La mention de Mayuko l’énerva un peu (non mais c’était dingue, comment faisait-il pour tout savoir, il faisait semblant, pas possible qu’il soit au courant de la conversation qu’il avait eue avec Mayuko au téléphone…).
Il répondit en se frottant les yeux, la voix lasse.

Tu es conscient que tes propos n’ont aucun sens ?

Il se contenta alors de soupirer bruyamment, histoire de bien faire comprendre que les gamineries de son cousin l’ennuyaient au plus haut point.
Il passa sa main sur son front, complètement reconnecté à la réalité à présent. Puis il posa ses mains sur ses genoux, releva la tête, regarda paisiblement les ondulations de l’eau à ses pieds, attendant que Shiguré ait fini son petit speach.

Shiguré, je ne suis pas d’humeur pour ce genre de petit jeu. Je suis fatigué, je voudrais réfléchir…

Hatori n’avait pas envie d’être désagréable avec son ami, pas du tout, mais il pensait sincèrement avoir besoin de solitude pour faire un peu d’ordre dans son esprit, qui en ce moment même ressemblait à une pièce dans laquelle Ayamé aurait passé un jour ou deux.
Le Dragon jeta à Shiguré un regard suppliant et coupable, s’excusant de le virer mais en le virant tout de même. Ceci dit, il était quasiment certain que son cousin n’en tiendrait aucun compte….

Bahhhh ! De pire en pire. Hatori etait laconique au possible et à chaque fois qu'il ouvrait la bouche c'etaitpour lui dire qu'il disait des bêtises ! Pourtant Shigure savait bien que ce n'etait pas le cas ou le medecin en aurait profité pour le prendre en traitre ! Donc s'il n'argumentait pas c'etait qu'il n'avait pas d'arguments ! Surtout avec ce stupide soupir et se regard coupable. Hatori le virait peut-être mais Shigure n'avait plus du tout l'intention de partir !
Finies les hésitations et la peur de blesser son ami. Il voulait à présent lui tirer les vers du nez...reflechir...non mais franchement ! Comme s'il ne passait pas sa vie à reflechir.

Tu reflechis trop, parfois il faut agir aussi.

Il se leva pour mieux se rasseoir à coté de son cousin qui perdait son regard clair dans les eaux du lac, prit une pierre et la lanca dans l'eau calme, creant autant de remous sur la suface qu'en profondeur parmi les poissons.

De toute facon tu n'es jamais d'humeur en ce moment. A chaque fois que je te parle j'ai l'impression de te déranger. Soit tu regarde dans le vide et n'écoute rien de ce que je te dis, soit tu t'enerve avant même que j'ouve la bouche.

Son ton etait raisonnablement triste, assez pour que le medecin croie à cette prétendue tristesse et y réagisse sans penser que c'etait l'un de ses nombreux artifices. Le chien brulait d'en savoir plus, davoir enfin la confirmation de ce que sa sonnette d'alarme lui hurlait à l'oreille...il y avait quelque chose de pas net entre Hatori et Ryu.
Il jeta un autre caillou dans l'eau, bien décidé a troubler la sérénité de l'onde autant que celle de son ami. Pour son bien evidemment ! Ou pas d'ailleurs. Le chien etait simplement curieux et avait besoin de se changer les idées.
Il fit alors semblant de reflechir et décida de le provoquer encore un peu plus. Il leva un doigt professeural et continua son inquisition

En fait, je savais que ce n'etait pas Mayuko, elle est passé mevoir après ton coup de fil...tu vois, je suis au courant ! Inutile donc de me mentir Pinoccio !

Il imita alors la posture de son ami , perdit son regard sombre dans le bassin à présent agité de remous et reprit son manège.

Bon, si ce n'est pas Mayuko c'est quelqu'un d'autre. Tu ne parles pas à beaucoup de filles et ce n'est certainement pas quelqu'un de la famille...donc, sans Mayuko...il reste Raya ou Ryu !

Il avait oublié que Ryu faisait "partie de la famille" mais ne s'en souciait guere. Surtout qu'il n'avait cité Raya que pour lui montrer qu'il etait au courant de cela aussi...bon il avait du flirter avec une lyceenne pour avoir l'information mais certaines choses valaient qu'on se sacrifie pour elles (d'ailleurs il serait partant pour se "sacrifier" plus souvent en cas de besoin).

Un troisieme caillou partit dans l'eau...non, il en avait assez de deviner. Il allait faire parler son cousin de gré ou de force et quoiqu'il en ai ! Il y en avait assez de supporter cette face de carême qu'il avait ces derniers temps ! ! Il allait valloir que ce crétin d"hypocampe se conduise en vrai dragon et assume un peu !!!

Alors ? Laquelle des deux ?

Hatori soupira en comprenant que Shiguré n’avait nullement l’intention de partir, tout du moins pas avant d’être parvenu à ses fins, ce que soit dit en passant le dragon redoutait particulièrement.
Le Chien cessa alors de prendre sa voix de cabotin pour devenir grave et triste. Ses paroles touchèrent le maudit bien plus qu’il ne l’aurait cru. Force était d’admettre que son cousin n’avait pas tort… Cela faisait un moment qu’il était désagréable avec tout le monde, il avait des sautes d’humeur qu'il regrettait aussitôt, devenait lunatique. Il avait beau tourner autour de la raison de tout cela, y réfléchir encore et encore, il avait l’impression que sa tête était vide, et ne parvenait pas à prendre la moindre décision. A vrai dire, il savait très bien ce qui l’énervait autant, et cela l’irritait plus encore.
Pour cacher son trouble, il baissa la tête, mais il savait bien que Shiguré verrait qu’il admettait qu’il avait raison. Il resta muet, ne sachant que dire, un sentiment très désagréable de culpabilité venant se nicher dans sa gorge. Le Chien commença à lancer des cailloux dans l’eau. Les remous provoqués par ses ricochets agacèrent l’hippocampe, qui se reprocha aussitôt ce sentiment. Il se sentait tellement coupable ces temps-ci, pour tout et n’importe quoi, qu’il pensait qu’il finirait par être habitué à cette sensation ; mais finalement elle était toujours aussi dérangeante, irritante, agaçante. Shiguré n’avait rien à voir avec ce qui lui arrivait en ce moment. C’était son ami, il essayait de l’aider (à sa manière, hum, contestable, mais il voulait l’aider tout de même), et tout ce que le médecin trouvait à dire, c’était de « le laisser tranquille ». Hatori releva les yeux, un voile de tristesse sur le regard, et voulut s’expliquer, s’excuser, enfin n’importe quoi plutôt que de rester muet en écoutant son ami lui faire des reproches on ne pouvait plus justifiés :

Ecoute, Shiguré, c’est vrai je…

Mais le Chien enchaînait déjà, plus provocateur que jamais, en parlant de Mayuko. Tellement surpris qu’il en oublia pour un temps sa culpabilité, Hatori demanda :

Quoi ? Mayuko est venue chez toi ?? Et elle t’a raconté… ?

Le dragon referma la bouche, de nouveau assombri. Il n’avait pas spécialement prévu de cacher cette discussion avec l’enseignante à Shiguré, mais il commençait à en avoir marre que le Chien sache tout de ses moindres faits et gestes. Est-ce qu’il l’espionnait, ou quoi ?
Hatori se passa une main lasse sur le front ; et voilà, il était encore en train de s’énerver pour rien. Il repensa rapidement au fait que Mayuko soit venue chez son cousin ; il savait qu’ils étaient sortis ensemble il était un temps, mais il ne pensait pas qu’ils étaient restés, heu, aussi proches. Puis il releva la tête, abandonnant là ses réflexions, quand Shiguré recommença à le taquiner. Une nouvelle fois, il fut pris d’une colère subite.

Ne dis pas n’importe quoi, Shiguré, je n’ai vu Raya qu’une seule fois de ma vie, et nous avons parlé à peine dix minutes ! Quant à Kajila…

Le maudit se figea quelques secondes, la bouche ouverte, mais complètement incapable de continuer. Pour Ryu, eh bien.. eh bien il…
En voyant une lueur malicieuse de victoire dans les yeux de Shiguré, Hatori reprit d’une voix toujours colérique mais beaucoup moins assurée :

De toute façon, je vous ai déjà dit, à toi et à Ayamé, que je ne voulais plus jamais avoir quelqu’un dans ma vie, plus jamais faire souffrir quelqu’un comme j’ai fait souffrir Kana, par pur égoïsme ! C’était clair pourtant, non ? Il n’y a pas de raison pour que cela ait changé ! Vraiment aucune raison !

Il répéta, fixant sans cligner des yeux les derniers remous du bassin qui venaient mourir sur la berge :

Aucune raison…

Les paroles d'Hatori étaient inhabituellement décousues. Shiguré commencait à se demander si c'etait rellement ses affaires après tout. Le dragon avait l'air tellement perdu...Soit, il avait gagné mais à quel prix ? L'espace d'une seconde, le chien regretta de s'être laissé allé a cuisiner son cousin. Mais il reprit bien vite le sens du devoir. Après tout c'etait de sa faute ! Il n'avait pas cas lui cacher des choses ! N'étaient ils pas le trio infernal ? Les trois frères toujours ensembles, toujours amis qui devaient tout se dire (ou plutot tout lui dire à lui, hors de question que Shigure dévoile ses secrets, même a ses cousins).

"Quand à Kajila ?"

C'était sortit tout seul. Il était perdu dans ses pensées et n'avait prêté qu'une attention distraite à ce que disait son ami. Il lanca un nouveau caillou dans l'onde grise. Avec un peu de chance, il allait réussir a assommer une des carpes...

"Mayuko était un peu perdue, elle avait besoin de savoir ou tu en etais pour savoir ou elle en était. Et tu n'as même pas été fichu de le lui dire ?"

Son ton était accusateur à nouveau. Il n'avait pas aimé être cuisiné par Mayuko, c'etait trop facile de jouer avec elle. Il soupira et reprit comme s'il n'avait jamais parlé de l'enseignante.

"Tu crois vraimentque l'on peut vivre sans jamais faire souffrir personne ? Franchement ? Et puis tu ne souffres pas toi ? Je vois pas pourquoi tu aurais plus le droit de souffrir que les autres !"

Son ton devint sarcastique, et blessant.

"En fait tu trompes bien ton monde. Tu te fais croire gentil, généreux et tout, mais tu ne pense qu'a toi ! Tu te drappes dans tonmalheur pour que tout le monde te plaigne, sans penser qu'en y restant envers et contre tout, tu pouvais blesser tes proches !"

Une pause.

"En tout cas je suis content que tu m'affirme ne pas avoir de vues sur Ryu, je vais pouvoir la séduire alors, j'ai besoin de m'amuser un peu ces derniers jours, je m'ennuie !"

Et enfin, il termina, suppliant

"Tu ne me refusera pas ce petit cadeau hein ? hein ? hein ?"

Hatori ne revint pas sur le sujet Kajila. Il n’y avait rien à ajouter ; le Chien savait tout ce qu’il y avait à savoir, c’était sûr, mais Hatori ne lui ferait pas le plaisir de les dire à haute voix. D’autant que ce petit interrogatoire commençait à l’échauffer sérieusement.
Ses ongles raclèrent sur la surface de son pantalon qu’il serra de toute ses forces. Son visage restait impassible, peut être plus crispé que de coutume. Ses yeux étaient anormalement fixes.
Le trouble de l’eau provoqué par les cailloux de Shiguré, par dessus tout, l’énervait suprêmement. Tout son esprit était occupé par cette seule et étrange pensée, qui l’accaparait, l’agaçait, lui faisait grincer des dents. Pourquoi était-il obligé de semer le trouble partout ? L’eau aurait dû être plate, plate, sans aucun remous… Inconscient du fait qu’il était obnubilé par un fait sans importance, il ne se rendait même pas compte qu’il fuyait les questions posées. C’était devenu un automatisme, une chose à laquelle il ne pensait plus.
Ce fut les paroles de Shiguré, une fois de plus, qui rompirent un silence dont le maudit n’avait aucune conscience. Les remous. Elle aurait dû être lisse.
Il revint à la réalité le temps d’écouter ce que son ami lui disait, mais cela ne faisait que l’énerver davantage. Les mots ne l’atteignaient plus en eux-même, c’était le ton employé qui parvenait jusqu’à lui et exacerbaient sa colère. Que lui reprochait-on donc encore ? Le Dragon serra les dents.
Il ne ressentait plus aucune culpabilité. Enfin ça, c’était ce qu’il voulait bien croire. Elle était toujours là, toujours aussi importante, toujours aussi gênante, mais recouverte. Recouverte par une sorte de colère bouillonnante de révolte, d’indignation. Elle avait toujours été là, il l’avait juste ignorée comme le reste. Mais ce soir tout lui semblait exacerbé. C’était une colère pure et simple, aussi violente qu’injustifiée, qui jetait des éclairs dans son regard fixé sur l’eau du lac, qui contractait chacun de ses muscles et raidissait chacun de ses membres.
Pour l’instant, il arrivait encore à la contenir. Mis à part qu’il ressemblait plus à une boule de nerfs qu’autre chose, il avait toujours l’air aussi neutre. Mais ça n’allait plus tarder, maintenant. Un volcan juste avant une éruption ne devait pas être bien différent.
Le Chien en était apparemment complètement inconscient. Il continuait à lui reprocher une chose ou une autre, à propos de Mayuko, de son comportement, de sa mentalité. Le médecin restait complètement immobile et silencieux. Il ne parvenait même plus à réfléchir, tout ce qu’il savait, c’était que chaque parole prononcée par son cousin accélérait un peu plus sa respiration et raidissait son corps. Pourquoi est-ce qu’il ne se taisait pas ?
Des mots et des images tourbillonnaient dans le désordre dans son esprit. Il n’y cherchait aucune logique, et il n’y en avait pas. Il suivait juste l’instinct qui lui commandait de se retenir, encore et encore, jusqu’au dernier moment. Shiguré parlait toujours ; le maudit ne saisissait qu’un mot sur quatre, mais cela suffisait à amplifier la boule qu’il avait dans la gorge, une boule de fureur pure qui l’étouffait presque.
Puis cela éclata.
Jusqu’au dernier moment, le Chien ne s’était accordé de rien et avait même commencé à faire le pitre. C’était littéralement la goutte qui avait fait débordé le vase.
Hatori se leva d’un coup et arracha frénétiquement les derniers cailloux dans la main de Shiguré, avant de les jeter brutalement dans l’herbe. Mais même ce geste ne suffit pas à le calmer. Trop de fureur accumulée. Même le prétexte factice qu’il s’en était fixé intérieurement avait disparu.

C’EST FAUX!!!!!, cria-t-il . Je ne me drape pas dans mon malheur !!! Je…j’essaie de sauver ce qui peut l’être encore ! J’essaie de l’éloigner, elle, parce que.. parce que je ne pourrais rien lui apporter de bon! J’essaie justement de lui éviter ces souffrances que tu me décris et dont tu ne sais rien ! Je ne veux plus … plus jamais… je ne veux plus avoir à me sentir coupable d’aimer quelqu’un, tu comprends ça ???

Le maudit ne prit que le temps de reprendre son souffle. Tout ce qu’il avait sur le cœur, et ce n’était pas peu dire, sortait en un fouillis indescriptible.

La notion de sacrifice ne vaut rien à tes yeux, et tu sais pourquoi ? Parce que tu ne penses qu’à tes propres intérêt ! De quel droit est-ce que tu affirmes tout ça ??! Qui t’as dit que tu détenais la meilleure solution, la vérité absolue ? Comment sais-tu qu’il faudrait faire une chose plutôt qu’une autre ? Que sais-tu réellement de Kajila ? Comment peux-tu savoir ce qui est mieux pour elle ou pour moi ? Comment peux-tu savoir où est le moindre mal, puisque chaque choix semble avoir des conséquences désastreuses ???

Shigure n'avait réellement pas vu la colère de son cousin. Et même s'il l'avait vu, il aurait refusé d'y croire ! Hatori ne se mettait jamais en colere. Même lorsqu'Akito avait détruit toutes ses esperances de bohneur, il n'avait pas eu UN mot de colère. Et voila que pour une lycéenne...pour une moins que rien, pas même une vraie soma, le digne médecin en devenait presque violent.
Le chien laissa échapper ses cailloux, se leva posément, ecouta son ami hurler des bêtises, posa tranquillement ses deux mains sur la poitrine de celui-ci et poussa juste assez fort pour faire faire au dragon un ou deux pas en arrière.

"En tout cas, continuer comme tu le fais n'est visiblement pas la bonne solution. Est ce que tu te rends seulement compte de ce que tu es en train de faire là ?"

Fit il calmement sans reussir à dissimuler combien la vue d'Hatori hors de lui l'amusait (et l'effrayait).
En fait ilétait bien plus effrayé qu'amusé. Il n'avait pas voulu mettre son ami dans cet état. Pas du tout ! Il n'avait jamais pensé que le dragon soit si malheureux au fond. Que cette situation le pèse autant ! Sinon il aurait réflèchit plus longtemps avant de se mettre à le taquiner !
Son visage mobile perdit rapidement toute trace de plaisanterie ou de jeu. Il observa son "adversaire" avec tout le sérieux dont il était capable.

"Comme tu dois l'aimer..." laissa-t-il échapper pour lui-même, avec un rien de tristesse et de jalousie.
Il se rassit, là ou il était, posa ses deux coudes sur ses genous et sa tête dans ses mains. Il savait ce qu'était un amour sans espoir. Il le vivait tout les jours avec l'autre folle qu'ils avaient pour chef ! Mais qu'Hatori...qu'Hatori gache, une fois encore, ses chances de bonheur au nom de principesvaseux à peine assez bon pour ses livres, voila qui le dépassait totalement.

"Comme tu dois l'aimer..."

Il s'interrompit, se décidant à répondre aux questions de son cousin.

"Non, je ne comprends pas. Aimer quelqu'un vous rend plus fort, ce n'est pas forcément la souffrance que toi et Kana avez connu. Je ne comprends pas pourquoi tu te réfugie derrière ce prétexte. Et si j'affirme tout cela c'est parce que je suis le plus expert de nous trois concernant ce genre de sentiment. Je l'ai étudié pendant de longues années....peux-tu en dire autant ? Quand à Kajila...je ne sais pas grand chose sur elle mais il y a une chose que je sais, c'est qu'elle serait furieuse de savoir que tu décides ce qui est le mieux pour elle sans même lui en parler ! Telle que je connais sa fierté c'est le genre d'erreur qui fera d'elle une de tes ennemies les plus acharnées ! D'ailleurs de quel droit décides-tu pour elle toi aussi ? Et puis qu'est ce que tu risques ? Au pire tu lui efface la mémoire comme l'autre jour au Hanami ! Elle semblait l'avoir bien supporté alors !"

Il avait été sérieux jusque là mais la derniere question le fit sourire. Il leva a nouveau l'index et l'agita d'un air supérieur.

"Quand aux décisions désastreuses, jusqu'ici ce furent les tiennes et c'est une raison de plus pour te ranger à l'avis de tes amis dévoués !"

Il reprit une fois encore son sérieux et termina simplement.

"Allons, Ha-san, calme toi ! Ne vois-tu pas que j'essaie de t'aider malgrè tout ? Ne comprends-tu pas que cette colère n'est qu'un signe de plus de ce qui te perturbe ? Pourquoi ne pas changer les bonnes vieilles habitudes et tout me raconter pour une fois ? Ce qui te plait chez elle, ce qui t'a attiré en premier lieu, et comment tu penses à elle...enfin tout quoi !"

Hatori reprit son souffle en entendant les paroles apaisantes de Shiguré. Il ne résista pas quand son cousin le poussa doucement du plat de la main, passa une main lasse sur son front, baissa les yeux. Il n’avait même pas honte de s’être emporté, n’était même pas irrité du calme persistant du Chien. En fait, il était complètement perdu largué, lessivé, paumé. Il ne savait plus du tout où il en était.
Le Dragon s’affala plus qu’il ne s’assit sur le rocher qu’occupait son cousin il y avait quelques minutes, prit sa tête dans ses mains et tenta machinalement de remettre son esprit en ordre, mais comment ordonner du vide ?
La remarque de Shiguré flotta un moment dans ce vide sans qu’il réagisse, sans qu’il comprenne… « Comme tu dois l’aimer… »… Les mots résonnèrent longtemps, il n’aurait su dire combien de temps. Longtemps. Ils se répétaient, encore et encore, sans ordre précis, sans aucun sens. Il lui sembla qu’ils étaient à nouveau prononcés, de très très loin, mais peut être qu’il ne faisait que l’imaginer.
Enfin, ils trouvèrent un écho particulier. Un écho qui le laissa pantelant, les yeux papillonnants, le regard fuyant, mais il était trop tard. Il avait fini par admettre l’évidence.
Il l’aimait, cette fille. Il l’aimait et c’était tout. Point. A la ligne.
Hatori se calma petit à petit. Les pensées recommençaient à circuler normalement dans sa tête, ses tremblements s’apaisèrent puis disparurent, ses yeux se fermèrent une bonne fois pour toute.
Les paroles de son cousin lui parvenaient, apaisantes, rassurantes, mais un peu agaçantes, comme la confirmation d’une évidence nouvellement acquise.
La comparaison avec Kana lui parut étrange, incongrue. Ce qu’il ressentait pour Kajila était différent…et semblable en même temps. Kana, Kajila, Kana… Tout semblait tellement clair à présent. Et brouillé en même temps. Des vérités nouvelles lui apparaissaient, comme coulant de source, et pourtant impénétrables jusqu’à présent. Hatori secoua doucement la tête, encore désorienté. Il se sentait…différent.
La fin de la tirade de Shiguré, et son allusion au fait qu’il avait soi-disant effacé la mémoire de Ryu, le ramena sur Terre, lui rappela les risques. Il ne reviendrait pas en arrière. Mais il ne savait plus du tout quelle conduite tenir.
Quand son cousin lui fit subtilement remarquer qu’il n’avait pris que des mauvaises décisions jusqu’ici, Hatori sourit d’un air fatigué, un sourire d’autodérision. Il se sentait réellement épuisé.
La question de Shiguré le fit replonger dans ses réflexions. Loin de repousser la curiosité de son ami, il se força à y réfléchir vraiment, preuve qu’il avait déjà un peu changé.

Eh bien… en fait…

Il s’humecta les lèvres.

D’abord c’est… ses yeux, ses yeux qui brillent et qui pétillent, qui se moquent… et tu te sens… tellement plus… léger !

Il cligna des yeux.

Elle sait rire avec ses yeux… Kana aussi le faisait, mais c’était différent… complètement différent… parce qu’elle a une sorte de… profondeur… quelque chose d’insondable…

Sans vraiment se rendre compte de ses gestes, Hatori ramassa un caillou et le lança dans l’étang.

Sa façon de relever son petit menton aussi… Elle est tellement fière !... tellement de courage!... bien plus que nous. Et elle a des valeurs et des principes… étonnants pour son âge.

A l’évocation de son âge, Hatori se troubla et se tut.

Narrateur:

A cet instant, une violente secousse fit trembler le manoir jusque dans ses plus profondes fondations. On entendit le bois des pavillons craquer sous la pression et un grand chêne se déracina et s’abattit au beau milieu du bassin japonais ! Des servantes paniquées sortirent et se mirent à crier d’effroi ! Cet évènement, coupa court à la conversation des deux hommes qui restèrent un instant pétrifiés.