A la recherche de Shiguré...

Rin se trouvait devant la maison de Shiguré. Elle regarda autour d’elle et s’assura qu’il n’y avait personne dans les parages, elle ne voulait surtout pas être vue à pénétrer discrètement dans la propriété. Elle s’avança rapidement, enjambant la barrière, et courut furtivement derrière un arbre. Elle observa les fenêtres de l’habitation.

( Personne…C’est bon.)

Progressant toujours avec précaution, elle s’enfonça un peu plus dans les arbres du jardin, faisant attention à ne pas marcher sur des feuilles mortes ou des branchages pour rester parfaitement silencieuse. Soudain, elle s’arrêta, et tendit l’oreille. Quelqu’un d’autre se promenait dans le jardin…
Rinne s’approcha plus silencieusement encore si c’était possible.
Elle vit alors celui à qui elle voulait parler.
Shiguré était au milieu d’une toute petite clairière, profitant des dernières lueurs du jour, flânant entre les fleurs odorantes. Rin fut un peu surprise, elle s’attendait plutôt à le trouver dans son bureau à écrire ses romans idiots. Elle le regarda se pencher pour respirer les plantes, et se demanda comment elle allait lui signaler sa présence.
Il fallait que Rin parle à l’écrivain. Elle était certaine que le Chien en savait bien plus long qu’il ne voulait bien le dire à propos de la malédiction des douzes. Elle était venue pour tenter de lui tirer quelques renseignements, il fallait absolument qu’elle en sache plus si elle espérait pouvoir briser le lien qui emprisonnait les treize maudits.
Rin savait que ce ne serait pas facile, Shiguré avait un esprit tellement tordu… Et puis surtout, il était beaucoup trop proche d’Akito pour être honnête.
Ecartant une branche basse, elle sortit du couvert des arbres et, raide et immobile, attendit que Shiguré la remarque.

Shigure avait deja fini son quota du mois, à la fois en tant que Shigure qu'avec ses nombreux pseudonymes. Aussi decida-t-il de se prendre une apres midi de flanerie et de lecture, loin des soucis et du travail. Il n'etait pas allé au manoir, n'ayant pas envie de voir Akito et remettant sa visite hebdomadaire a demain.
Il avait donc pique-niqué dans son jardin, fait une petite sieste au soleil, lu un peu et s'appretait a présent a rentrer à la maison, histoire de faire semblant de travailler lorsque les enfants reviendraient.

Mais le chemin etait long, ou plutot, le chien n'avait vraiment envie de rentrer. Il s'arrêtait a chaque plante, humant les fleurs, profitant de la douceur printaniere, jusqu'au moment ou il vit Rin, immobile au milieu des arbres à le regarder. Il en fut surpris une seconde mais se reprit bien vite et dit avec un curieux sourire.

Tiens, Rin. Je me disais bien que tu n'allais plus tarder. Comment vas tu ?

Le maudit ne fit pas un pas vers elle mais ouvrit les bras en signe de bienvenue. Il etait habitué aux arrivées de Rin et savait pertinement ce qu'elle cherchait. Mais il se refusait a l'aider. Isuzu avait sa methode, son but, lui avait le sien. Seulement il trouvait l'adolescente tres drole dans son obstination et ses methode aussi prenait il garde a ne jamais la décourager tout a fait. Qui sait, peut-être trouverait elle un jour quelque chose qui lui serait utile...a lui en tout cas !

Les pupilles de Rin s’agrandirent sous l’effet de la surprise.

(Comment savait-il… ?)

Pourtant elle reprit aussitôt ses esprits. Shiguré devait sûrement jouer la comédie, comme d’habitude. Il voulait seulement la déstabiliser.
Isuzu fronça les sourcils, dans une expression qui lui était familière. Elle n’aimait pas qu’on se moque d’elle, et les paroles de Shiguré pouvaient être interprétées comme une pure provocation.
Rin ne fit pas un geste en direction de l’écrivain, même quand il lui adressa un geste de bienvenue. Elle ignora sa question qui n’était que pure forme, elle le savait bien, et continua de l’observer de ses yeux sombres et durs.
Le Cheval hésita sur la question qu’elle allait poser. Shiguré ne répondait jamais de façon directe ; il l’écoutait toujours attentivement et lui donnait un coup de pouce quand elle était mal, mais n’allait pas plus loin. Il répondait à ses interrogations par énigmes, toujours en se dérobant.
Elle le jaugea d’un œil sévère.
Que pensait-il, en ce moment ? Elle se demandait si quelqu’un ici bas pouvait le deviner. Lui qui paraissait considérer la vie comme un jeu semblait beaucoup s’y amuser. Il n’avait jamais réellement aidé la jeune fille, il ne faisait que lui donner des indices, comme pour l’encourager à continuer sans s’investir davantage…
Finalement, éludant la raison de sa visite, elle préféra s’assurer d’abord qu’ils ne seraient pas surpris dans leur conversation.

Où sont les autres ?

Elle avait parlé d’un ton brusque, sans se fatiguer à donner d’explications, Shiguré comprendrait bien que « les autres » voulait dire Yuki, Tohru et Kyo.

Shigure prit ausssitôt l'air exagérément attristé.

Comme sa, cash ? Pas bonjour, pas de questions pas de "je suis heureuse de te revoir moi aussi ? Tu m'aimes donc si peu que cela ?

Et il se mit a pleurer a grand bruit, s'amusant interieurement de la colere que cela devait faire naitre en Rin. L'adolescente etait si susceptible ! Il en joua un bon moment puis récupera sa bonne humeur et son sourire comme si rien ne s'etait passé avant de continuer doucement.

Tu sais, tu devrais être plus gentille avec moi si tu veux que je t'aide. Parce que si tu viens alors que tu sais pertinement que les enfants sont a l'ecole, c'est pour me voir moi n'est ce pas ?

Il soupira et s'assit contre le tronc d'un arbre, regardant pensivement le ciel.

Tes recherches sont inutiles, tu sais...

Rin regarda Shiguré faire semblant de pleurer avec dédain. Elle détestait quand il jouait un rôle comme ça, cela avait le don de l’exaspérer au plus haut point. Toujours sans un mot, elle continua de la fixer sans ciller. Elle exécrait les gens qui se moquaient d’elle !
A ce moment, elle n’avait qu’une envie, coller son poing dans la figure de clown de l’écrivain. Pourtant elle se retint, ce n’était certainement pas en le frappant qu’elle obtiendrait ce qu’elle était venue chercher. Et puis de toute façon, elle ne voulait surtout pas faire ce plaisir à Shiguré qui faisait l’imbécile pour l’énerver et qui n’attendait que ça.
Elle respira un grand coup pour se forcer au calme, sans lâcher le Chien des yeux jusqu’à ce qu’il ait repris son sérieux.
Quand il lui parla, elle fut encore une fois prise au dépourvu et cligna des yeux. Shiguré avait encore exactement deviné ses intentions…

C’est vrai, je voulais te parler. Te parler, pas quémander ton aide ! Je n’ai besoin de l’aide de personne !

Elle avait prononcé ces derniers mots avec force, en criant presque, les poings serrés. Elle n’était pas faible comme Yuki ou Kyo, ces deux imbéciles qui avaient besoin qu’une fille naïve comme Tohru les rassure sur leurs qualités ! Elle, elle était forte ! Elle n’avait besoin de personne…
Rinne se rendit alors compte qu’elle haletait, sans doute sous l’effet de l’émotion. Elle reprit aussitôt son calme, régulant sa respiration. Elle voulait paraître forte, et elle était en train de montrer l’exact contraire à Shiguré…
Surtout que l’écrivain, assis sur une souche d’arbre, l’observait paisiblement, avant de tourner la tête pour regarder le ciel. Quand il la provoqua encore indirectement, elle se contrôla cette fois parfaitement et ne laissa transparaître aucune émotion, bien qu'en pensée elle se demandât fébrilement comment il avait deviné.
Rinne frissona légèrement. La nuit tombait doucement et il fallait avouer qu'elle n'était pas très couverte...
Se refusant à questionner l’écrivain qui, elle en était sûre, n’attendait que cela en se faisant désirer, elle ne demanda rien.
Elle se contenta de pencher légèrement la tête sur le côté, comme pour lui demander des explications, le visage lisse et neutre hormis ses sourcils toujours froncés qui exprimaient son irritation, et de déclarer d'une voix qui se voulait ferme:

Je ne vois pas de quoi tu parles.

Shigure eut un sourire complaisant et conivent qui devait vraiment être tres agacant pour la jeune femme.

Mais oui, on sait, tu n'as besoin de l'aide de personne.

Il se leva et se dirigea vers la maison. Ses pas etaient legers, ses cheveux volaient au vent et son kimono claquait lui donnant l'air d'un héros de l'un de ses romans. Le pire c'est qu'il le savait et que cela l'amusait beaucoup. Il ne regarda pas en arriere si Rin le suivait, mais il continuait a lui parler comme s'il etait impensable qu'elle ne le suive pas.

Je vais te faire du thé. Puis il faut que tu mange quelque chose tu n'as que la peau sur les os. Comment tu veux qu'un garcon s'interresse a toi si tu te promenne dans cet état ? Je crois qu'il reste des gateaux de Tohru-kun.

Son ton etait leger mais ses paroles ne laissaient pas place a la discussion. Pas qu'il s'inquietait vraiment, Rin etait forte mais en entrant chez lui elle etait passée sous sa responsabilité et il fallait donc qu'il la soigne.

Il passa la porte, amena du thé et des petits gateaux, s'assit, servit Rin puis se servit avant de commencer a manger de bon appétit. Pour ne pas laisser le silence s'installer, il alluma la radio et prit son journal. Il pouvait rester ici des heures a ne rien faire. De toute facon il etait hors de question qu'il la questionne.

Rin bouillait intérieurement. L’écrivain se moquait ouvertement d’elle, et si elle ne s’était pas retenue, il serait déjà étendu à terre ! Ses jointures blanchirent à l’extrême tant elle serrait les poings, mais la douleur provoquée ne suffisant pas à calmer sa colère, elle se mordit encore sauvagement les lèvres. Elle se força à respirer lentement, sans pouvoir s’empêcher de faire beaucoup de bruit avec son souffle affolé par la rage ; mais de toute façon Shiguré était déjà parti vers la maison et ne pouvait pas l’entendre. Isuzu envisagea sérieusement de partir, tout de suite, pour ne plus avoir à supporter les sarcasmes du Chien, toutefois elle n’en fit rien. D’abord parce qu’elle n’aurait pas obtenu ce qu’elle était venue chercher, ensuite parce que sa fuite signerait la victoire de Shiguré, ce qu’elle ne voulait à aucun prix. Jamais elle ne renoncerait à une chose qu’elle avait résolue, et encore moins devant lui !
Le Cheval, après une très longue hésitation, suivit donc Shiguré, à une grande distance cependant. Elle n’entendit ni n’écouta ce qu’il disait, d’abord parce qu’elle était trop loin, ensuite parce qu’elle était certaine qu’il ne disait que des choses sans importance, comme toujours. Elle aurait tellement de mal à lui faire cracher ce qu’elle voulait savoir !
Rin s’approcha, entra dans la demeure, resta debout tandis que Shiguré apportait du thé et des gâteaux. Elle repoussa du plat de la main la nourriture qu’il lui proposait. Isuzu n’avait pas souvent faim, et à ce moment là encore moins que de coutume. Dédaignant aussi les sièges, elle s’assit dans un coin de la pièce, croisant les bras autour de ses jambes repliées, laissant seulement voir ses yeux au travers des longues mèches noires qui lui tombaient sur le visage.
De son regard sombre, elle observa le Chien manger, mettre la radio en marche, prendre son journal et commencer à le lire. Autant de gestes qu’elle savait factices. L’écrivain se mettait en scène, comme à l’accoutumée. Rin se demandait s’il cessait parfois de se prendre pour le héros de l’un des romans stupides qu’il écrivait.
En tout cas, pour elle, Shiguré montrait clairement qu’il ne l’aiderait pas, sans toutefois se montrer désagréable. Elle laissa passer un long silence, qui n’en était pas vraiment un, puisqu’on entendait la musique de la radio, avant de parler d’une voix ténue, altérée par l’émotion qu’elle s’autorisa à laisser transparaître.

Shiguré… Parmi les Douzes, tu es le seul que je voie aussi résigné par notre malédiction.

Elle se tut un instant, fermant les yeux, perdue dans sa réflexion, puis, rouvrant à demi ses paupières, elle reprit de la même voix, un peu plus fort cette fois.

Ou plutôt non, pas résigné… tu as l’air presque… content de ton sort. Diverti… par ceux qui se débattent… tu nous regarde… sans rien faire… alors dis-moi…est-ce que ça t’amuse ?

Rin avait relevé la tête. Ses cheveux cachaient la plus grande partie de son visage, mais ses yeux brillants se détachaient tout de même nettement par leur regard sérieux, presque désespéré.

Ça t’amuse de nous voir nous détruire nous-même, lentement, petit à petit? Ça t’amuse d’intriguer de ton côté avec Akito? Ça t’amuse de voir lequel des treize hantés par l’esprit des animaux sombrera en premier ?

Rin avait haussé le ton, sans pour autant crier. Elle se sentait étrangement calme, bien que complètement déroutée en réfléchissant au comportement de l’écrivain. Elle ne le comprenait pas. Elle ne le comprenait pas. Elle le voyait parfois comme une araignée, tissant une toile autour de chacune de ses proies, en les laissant s’étrangler elles-mêmes en cherchant à se libérer, et surtout en se délectant du spectacle. Cette chaîne qui emprisonnait les maudits de la famille Soma, Rin avait tiré si fort dessus qu’elle s’en était retrouvée meurtrie à jamais, enserrée plus profondément encore dans ces liens qui prenaient racine dans son propre sang. A présent, elle suivait ses maillons, un par un, pour remonter à la source de la malédiction qui les enchaînait, eux, les treize Soma. Shiguré, lui, semblait se complaire dans cette captivité, observant d’un œil presque scientifique les autres victimes lutter pour survivre, en leur glissant parfois un simple mot pour les orienter dans la direction qu’il lui plaisait.
Et il observait avec un plaisir horrible, immonde et inconcevable pour Rin l’évolution des choses.

Surpris par sa question, Shigure baissa son journal et regarda un moment Rin sans mot dire. C'etait rare qu'il soit surpris, surtout par Isuzu dont il connaissait parfaitement les motivations.
Le chien laissa le temps a la chanson de se terminer puis coupa la radio, ferma et replia posément son journal et porta sa tasse de thé a ses levres en dissimulant (a dessein tres mal) un sourire sarcastique.
Enfin, il reposa la tasse, mit ses mains sur ses genous, et, toujours souriant, et dit doucement en detachant chaque mot et sans une once de culpabilité.

Oui, cela m'amuse beaucoup de te voir te debattre, encore et toujours contre ce que tu es.

Son regard se perdit dans le vide tandis qu'il continuait.

Dit moi, ne le sens tu pas ? Ne sens tu pas que ces liens que tu abhorre sont tout ce que nous sommes ? Que c'est uniquement cela qui fait de la famille Soma ce qu'elle est ? Sans cette malédiction que ferions nous dit moi ?

Il porta alors ses yeux inhabituellement serieux sur l'adolescente et continua, totalement conscient du mal que ses paroles pourraient faire mais se disant que la jeune fille avait besoin de les entendr, et que cela renforcerait sa détermination a vaincre cet etat de fait. Il se donnait les gants de proteger Akito tout en travaillant a sa perte et acceptait de blesser Rin pour la rendre plus forte.

Imaginons l'impensable, imaginons que tu reussisse. Que feras tu alors ? Qu'est ce que cela changera pour nous ? Ma vie a moi sera la même, je serais toujours ecrivain, et m'amuserais sans doute moins. Toi tu resteras associable parce que c'est la vie qui t'a construite comme cela. Tu penses vraiment que cela va changer quoique ce soit ? C'est tellement facile de mettre tout sur le dos de la malédiction...

Il soupira et ss yeux redevinrent gais et ironiques.

Et tu ne pourras pas quitter ni les 12, ni Akito, tu es trop habituée a nous, sinon tu l'aurais deja fait, malediction ou pas.

Son sourire s'accentua et il dut se retenir pour siffloter un air gai et insouciant.

Alors oui, cela m'amuse beaucoup de vous voir vous debattre tous, et Tohru-kun aussi. Mais je serais curieux que vous reussissiez, rien que pour voir la réaction d'Akito.

Il but une nouvelle gorgée de thé en pensant a Akito qu'il aimait tant qu'il la haissait et voulait la détruire. Il pensa a ce rêve fou de vouloir detruire la malédiction, ce reve qui malgre tout faisait battre son coeur. Il en avait parlé avec Hatori une fois. Le medecin trouvait inconcevable que la malédiction soit un jour levée et Shigure c'etait amusé a lui faire envisager le contraire...
Quoiqu'il en soit, il comptait bien laisser les autres se debattre...et en recuperer les fruits !

Pourquoi me poses tu cette question Rin-chan ? Ne connaissais tu pas deja la réponse ? Je suis le pire des 12, tu le sais pourtant...

Fini-t-il avec calme, esperant que le cheval accepterait de changer de sujet...et le craignant en même temps.

Les lèvres serrées, le menton volontaire, les yeux brillants de défi, Rin regarda Shiguré poser son journal, éteindre la radio, la regarder avec malice en buvant son thé. Elle patienta le temps nécessaire. Certaines choses valaient d’attendre.
Sa surprise fut sûrement à la hauteur de celle qu’avait espérée l’écrivain en lui parlant ainsi. Les yeux d’Isuzu s’écarquillèrent, sans qu’elle fasse un geste ou un mot. Elle conserva sa position assise, la tête relevée, la nuque raide.
Rinne écoutait le Chien avec un effarement grandissant. Qu’est-ce que… Mais pourquoi… Comment pouvait-il … dire ça ? Sous le coup de l’émotion, de la surprise, le Cheval ne put rien répondre. Et surtout, elle fut terrifiée en se rendant compte qu’elle était incapable de répondre à sa question… incapable d’imaginer sa vie sans cette malédiction ! Sa peur ne fit que croître quand elle croisa le regard on ne pouvait plus sérieux de Shiguré…
Rinne se releva à moitié sous l’effet conjugué de sa colère, de sa confusion, et de sa peur. Elle eut un mouvement de recul, tituba, observa Shiguré de tout ses yeux sombres et farouches, sans rien pouvoir faire d’autre que de le regarder et de l’écouter jusqu’au bout.
Ses pensées tournoyaient dans sa tête comme autant de guêpes bourdonnantes et furieuses, elle ne comprenait plus rien, elle ne voulait plus comprendre ! Ce que lui disait Shiguré était impossible, impossible à accepter, ça ne pouvait pas être vrai, non, c’était impossible, impossible, impossible…Cette malédiction était la cause de tout, tout, tout !!! Elle avait orchestré sa vie, elle l’avait façonnée en profondeur, elle l’avait toujours emprisonnée, elle l’avait toujours empoisonnée, elle l’avait toujours détruite ! Sans la malédiction des Douze, tout, absolument tout serait différent !
Rinne tremblait de tous ses membres. Retrouvant enfin l’usage de la parole, elle cria en désordre les pensées qui lui faisaient si mal.

Tu…tu mens !!! Tu mens, ça ne peut pas être vrai ! Comment peux-tu, comment oses-tu… C’est impossible…tout serait différent… TOUT !!!

Rin s’étranglait à demi avec tous ces mots qui ne voulaient pas sortir. Elle éructait ! Des bribes de souvenirs lui revenaient à l’esprit, achevant de la bouleverser. Sans qu’elle s’en rende compte, les larmes se mirent à couler sur son visage, sans qu’elle sache si c’étaient des larmes de tristesse, de colère, ou de peur…

Sans notre malédiction, mes parents ne m’auraient pas rejetée ! Je n’aurais jamais été aussi souvent à l’hôpital ! Akito n’aurait aucun pouvoir sur moi ! Je n’aurais pas cette cicatrice au milieu du dos !

En disant cela, la frêle jeune fille s’était retournée, en écartant d’un geste brusque les longues mèches de ses cheveux noirs. Ainsi dévoilée, une longue balafre encore rouge serpentait au milieu de son omoplate, témoin de la violence de son chef de famille. Elle se retourna alors, mettant Shiguré au défi de la contredire. Dans un sanglot qu’elle étouffa à demi, elle rajouta, avant de le regretter aussitôt :

Sans notre malédiction, je serais encore avec Haru !

Rin mit sa main devant sa bouche, horrifiée par le débordement de ses sentiments. Elle s’était jurée de ne plus parler de cela, à personne! Elle sentit l’eau de se larmes en passant sa main sur son visage, regarda ses doigts mouillés sans comprendre. Elle était secouée par une émotion si intense qu’elle en devenait insupportable.
Elle devait détruire la malédiction, c’était à cause d’elle qu’elle avait cette vie pourrie, cette vie de merde !!! Il fallait la détruire, la détruire, la détruire ! Personne ne pourrait lui retirer cette conviction, non, personne ! C’était son but, sa raison de vivre ! Elle devait le faire, il fallait que quelqu’un le fasse… Mais en pensant cela, Rinne ne pouvait s’empêcher de penser… de se demander… de douter… et s’il avait raison ?
Cette simple interrogation résonna dans son esprit avec autant de force qu’un ouragan, avant d’appeler d’autres questions : si tout ce qu’elle faisait était vain ? Si la disparition de la malédiction ne changeait rien ? Si elle s’étaient trompée depuis le début ?...
Isuzu en resta sonnée pendant quelques secondes, sans pouvoir réfléchir. Le Cheval, déjà rendue fragile par sa malédiction, comme tous les Douzes, ressentit soudain une grande faiblesse. Ses jambes se dérobèrent sous elle, elle glissa lentement le long du mur, sans trouver suffisamment de volonté pour se retenir de tomber. Rinne fronça les sourcils, et, dans son étourdissement, cligna des yeux plusieurs fois de suite, tentant de chasser les papillons noirs qui dansaient sous ses paupières.
Le Cheval, vaincu par la dévastation de sa raison d’être et sa fatigue omniprésente, sombrait doucement dans l’inconscience…

La réaction de Rin combla le chien. Il n'en demandait pas tant ! Cette peur qu'il lisait en elle, ces yeux hagards, ce choc qu'elle n'arrivait a accuser. Elle avait vraiment prit ses mots de plein fouets !
Un frisson de plaisir le prit. Voila pour tout ceux qui le traitaient d'ecrivain minable. Il savait parfaitement manier les mots ! Mieux que quiconque, il etait presque aussi bon en manipulation qu'Akito !

Le visage doux et resigné, le chien se leva tranquillement et se dirigea vers l'adolescente tandis que celle ci essayait de reprendre ses esprit en criant les mots qui lui faisaient si mal. Mais le chien avait bien prévu son coup, les mots ne sortiraient pas aussi facilement. Ils allaient rester, tourner dans l'esprit fatigué de l'adolescente, faire leur trou, instiller le doute et, enfin, rafermir sa motivation. Car il savait Rin forte et têtue. Il savait que la faire douter la rendrait plus obstinée encore. Il avait prévu tout cela.

Enfin pas tout, il ne s'etait pas rendu compte de l'etat de fatigue de la jeune fille et il semblait que l'impact ai ete plus fort que prévu. Qu'importait ! Rin n'etait qu'un outil pour lui. Comme tous les autres ! Un outil dont il se servait et qu'il jetterait une fois usé.

Il arriva a coté d'elle juste comme elle pleurait sa rupture avec Haru et, profitant de sa faiblesse, la prit paternellement dans ses bras.

Dieu ! Un corps feminin contre le sien...c'etait si rare...pouvoir serrer quelqu'un dans ses bras...
Il failli un moment se laisser aller dans un sentimentalisme ridicule mais l'image d'Akito apparut dans son esprit et il s'eloigna un peu avant de lui prendre les jambes et de la porter.
Il se dirigea vers la chambre de Tohru, voyant que la jeune femme n'etait pas bien.
Il eut même peur qu'elle s'evanouisse avec tout cela ! Il faut dire que maintenant qu'il avait vu la cicatrice faite par Akito, il comprenait mieux la réaction d'Isuzu.
En la voyant cligner plusieur fois des paupieres, il eut un sourire leger, un peu pervers.

Si tu t'evanouis je te promet que j'appelle Haru !

Rin ne voyait plus rien, se sentait plus rien, n’entendait plus rien. Son monde était devenu ténèbres tourbillonnantes, à l’image finalement de la vie qu’elle menait depuis sa naissance…
Le Cheval était comme enfermée dans son propre esprit ; le chaos qu’elle y voyait l’effrayait plus que tout. Des pensées en désordre venaient effleurer sa conscience, sans qu’elle parvienne à en saisir le sens. Même dans l’inconscience, Isuzu ne trouvait aucun repos. Son âme était bouleversée par une tempête éternelle, semant ruines et désolation sur son passage, jusqu’aux tréfonds de son cœur meurtri, son petit cœur de jeune fille déjà si éprouvé par la vie. Rinne ne pouvait pas réfléchir, mais elle ne pouvait pas s’apaiser non plus.
Par delà la nuit sans étoiles qui l’enveloppait, la jeune fille perçut un seul mot. Un nom en fait.
Haru.
Cette simple parole trouva un profond écho dans son esprit chamboulé, comme une onde de choc, sauf qu’au lieu de dévaster une fois encore ses pensées, il eut un effet apaisant, comme un baume sur une blessure ouverte. Le cyclone perdit un peu de sa violence dans sa tête, certaines de ses idées reprirent leur place.
Elle remua inconsciemment, tentant vainement de s’échapper de ce cauchemar, luttant contre la somnolence agitée qui l’entraînait inexorablement dans le noir. Dans un suprême effort de volonté, elle réussit à ouvrir les yeux et reprit contact avec le monde extérieur, pour se rendre compte qu’elle se trouvait dans les bras de Shiguré. Sa fureur lui redonnant des forces, elle cria :

Ne me touche pas !

Rinne se releva brusquement, ou plutôt s’agita tant et si bien qu’elle tomba sur le sol, avant de se relever tant bien que mal en s’aidant d’un meuble du couloir.
Ses pensées étaient encore embrumées, mais une chose était claire au moins : elle ne voulait plus rien avoir affaire avec le Chien, du moins pas avant un moment !
Pas avant d’avoir réussi à assimiler ses paroles… Pas avant de savoir qu’en penser… Pas avant de comprendre…
Rin tenait à peine sur se jambes flageolantes. Elle passa une main sur son front brûlant, se retenant au mur. Elle releva alors les yeux vers Shiguré, et vit son sourire goguenard. Cela la mit hors d’elle, et lui fit se rendre compte d’une chose : jamais elle ne renoncerait à l’idée de briser la malédiction ! Jamais ! Ne serait-ce que pour voir ce sourire moqueur disparaître de la face de l’écrivain…
Elle lui prouverait, à lui, à eux tous, elle leur prouverait qu’elle en était capable ! Elle les libérerait tous, et tant pis s’ils ne la croyaient pas, tant pis s’ils ne le voulaient pas. Cette malédiction était foncièrement mauvaise et n’apportait que du malheur dans son sillage, de cela elle était certaine, et c’était un motif largement suffisant pour la rompre. Plus que suffisant même ! Elle y parviendrait, coûte que coûte, quoi qu’elle dût sacrifier pour cela, elle n’avait pas peur des obstacles, elle ! Elle n’avait pas peur, pas comme les autres maudits, qui se terraient dans leur désespoir sans rien faire. Elle leur montrerait, à tous, elle leur montrerait !
Serrant les dents dans sa détermination retrouvée, Rin lança un regard de défi à Shiguré.

Ne t’approche plus de moi ! Tu me dégoûtes ! Tu fais semblant de m’aider pour mieux m’enfoncer par derrière ! Tu n’es qu’un horrible vicieux, un comédien à deux balles !

Le Cheval avait voulu hurlé ces mots, pour que le Chien ressente tout son mépris, mais sa faiblesse transforma ses paroles en un murmure furieux, un souffle ténu. La respiration coupée par cet effort, elle se retint au meuble pour ne pas s’effondrer à nouveau.